FHP : les agents hospitaliers bientôt rémunérés au mérite ?

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3Rémunérer ses salariés au mérite : l’idée est loin d’être nouvelle. Mais jusqu’alors, elle était taboue. Tandis qu’aujourd’hui, ça y est, le cap est franchi… Des municipalités, des institutions, des administrations s’y mettent, petit à petit, les politiques en parlent de plus en plus librement, s’y déclarer favorable n’est plus forcément scandaleux, et même, de mieux en mieux vu, y compris par des salariés eux-mêmes, qui y trouvent leur avantage. Ce mardi 10 novembre 2015, dans l’une de ses petites phrases désormais célèbres et qui a, de nouveau, fait le buzz, le ministre de l’économie Emmanuel Macron, a lui-même appelé à une généralisation de ce système de primes, soutenu dans l’après-midi par la Ministre de la Fonction Publique Marylise Lebranchu. Résultat : l’ensemble des employés de la fonction publique, y compris hospitalière, pourraient bientôt voir arriver la mesure dans leur propre univers de travail. Alors : pour ? Ou contre ? Si le sujet n’est plus soumis à l’omerta, il reste évidemment polémique. Et divise, au sein même des syndicats.

 

2Retour, en préambule, sur ces quelques bastions de la fonction publique, qui ont osé franchir le pas, et secoué le cocotier ! La municipalité de Suresnes, d’abord. Une initiative comme celle qu’elle vient de prendre, c’est plutôt rare… Du coup, la ville des Hauts-de-Seine fait aujourd’hui figure de laboratoire : car dans quelques mois, les employés municipaux y seront payés en fonction de leur implication dans le travail. Et les entretiens d’évaluation se déroulent en ce moment même. C’est une petite révolution dans l’administration publique, mais les salariés y sont favorables : « Si cela a été mis en place dans les entreprises privées, pourquoi ne pas nous apporter ce modèle là aussi à nous, les fonctionnaires ? », demande ainsi Célestin Sounda, agent des services à la Mairie de Suresnes. « Les gens disent toujours que les fonctionnaires sont des faignants, qu’ils ne travaillent pas, eh bien là cela donnerait du punch aux gens, et cela les découragerait peut-être aussi d’être si souvent absents ! ». Celestin Sounda sera évalué, mais comme il est cadre, il évaluera aussi les collègues placés sous sa surveillance. Il a d’ailleurs commencé à les recevoir pour les entretiens individuels d’évaluation : « C’est une innovation intéressante », estime Aurélien Mézangeau, chargé de communication à la mairie de Suresnes. « Et si je peux perdre 125€ par mois en n’étant pas à la hauteur, je peux aussi les gagner en plus en m’impliquant à fond dans mon travail. Cela représente 1500 € annuel, ce n’est pas rien. Et c’est une manière de prendre en compte l’investissement personnel de l’agent dans son travail ». Autre commune, autre méthode : à  Florensac dans l’Hérault, les agents municipaux eux, touchent une prime de « présentéisme », 50€ par mois. Résultat : les absences ont baissé de 18 à 4% dans la commune. Et là encore, l’initiative est saluée par le gouvernement.

 

5En fait, ce n’est pas entièrement une nouveauté, puisque cette prime existe déjà depuis 2002 pour certains fonctionnaires français, et représente 10 à 15% de leur rémunération : elle est appelée « régime indemnitaire ». Là où se trouve l’innovation, et ce qui fait hurler les détracteurs du libéralisme économique, c’est que pour la première fois dans la fonction publique, cette prime de régime indemnitaire sera modulée à la hausse ou à la baisse. Par exemple, un agent de catégorie C payé 1750 € mensuels, touche pour l’instant une prime fixe de 190 €. A l’avenir, pour un travail « insuffisant », il sera pénalisé et perdra 25% de ce bonus, soit 47,50€ par mois.  A l’inverse, pour un travail « exceptionnel »,  il touchera sa prime majorée de 25%, soit 47.50€. Assiduité, qualité d’exécution, respect des délais, et bien d’autres critères sont pris en compte. Pour un total de 7 niveaux de compétences possibles : « très insuffisant », « insuffisant », « à améliorer », « bon », « très bon », « excellent » et même « exceptionnel ». La Maire Adjointe chargée des Ressources Humaines de Suresnes, Béatrice de Lavalette, estime cette mesure « normale » : « quand on est très investi dans son travail, quand on obtient des résultats, qu’on est force de proposition, qu’on est créatif, c’est normal d’être valorisé, reconnu, et aussi récompensé, pas que financièrement mais en partie financièrement ». Les syndicats locaux de la CFDT, la CGT et FO ont signé majoritairement ces accords, à Suresnes comme à Florensac, contre l’avis même de leurs instances nationales : « Cela ne marche pas, c’est discriminatoire et c’est clientéliste », s’indigne Jean-Marc Canon, de la CGT Fonction Publique. « ce n’est pas la bonne méthode pour reconnaître la manière de servir dans le service public, elle n’est pas dans l’intérêt des agents ».

 

10Pourtant, Emmanuel Macron n’a pas caché son enthousiasme, au micro d’Europe 1, ce mardi matin du 10 novembre, déclarant qu’il fallait « accroître la part de mérite et d’évaluation dans la fonction publique afin de la moderniser ». Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique, a pour sa part déclaré : « moi je suis favorable à ce qu’une partie de la prime puisse être donnée au mérite ou que l’on discute de certains avancements ». Alors, à quand ces primes au mérite, sous forme de bonus ou de malus représentant un pourcentage important du salaire mensuel, dans la Fonction Publique Hospitalière ?  « Le problème, c’est que les attributs de la Fonction Publique, à savoir un salaire fixe, une progression réglée dès le début dans les détails, un statut ultra protecteur etc… ne sont pas de simples avantages venus de nulle part, ils visent à garantir l’impartialité, pour ne pas dire l’incorruptibilité, des fonctionnaires », explique Marc Wolf, de Terra Nova. « S’il s’agit d’un système de mérite qui encourage l’obéissance, comme chez Volkswagen, on se retrouve dans le mur. Dans la fonction publique, quand on parle d’engagement, il ne faut pas représenter l’intérêt du patron ». Dans la même optique, la CGT nationale estime qu’il y a les risques d’une déshumanisation des vocations, en particulier dans les métiers de santé, vers une dérive comptable : « le danger, c’est que les agents vont se concentrer sur les tâches qui seront le plus quantifiables, sur lesquelles on peut mettre des critères, au détriment d’autres tâches, moins visibles, moins quantifiables, et cela mettra en péril la qualité du service public pour les usagers »…. Par exemple, dans le relationnel avec les patients. Les plus méfiants, pensent aussi que c’est un moyen, à terme, de réduire encore les effectifs dans la fonction publique en général, et la fonction hospitalière en particulier : « Nous avons aujourd’hui un million de fonctionnaires contractuels, je pense que c’est trop », a notamment 15estimé Marylise Lebranchu au micro de certaines radios, il y a peu de temps : « Ceux qu’on appelle « contractuels » ou « non titulaires » représenteraient plus de 17% de la fonction publique et ces effectifs augmenteraient d’année en année selon les derniers chiffres publiés cet été ». Et le maire de Suresnes, Christian Dupuy, le reconnaît : « en stimulant le rendement et l’efficacité des agents par la prime pécuniaire, plus besoin de remplacer les départs volontaires et les départs à la retraite. Ceux qui restent en feront plus, et y mettront toute leur bonne volonté et leur dynamisme, puisqu’à la clé, cela sera financièrement dédommagé ». Enfin, les inquiétudes s’orientent vers les effets pervers d’une rémunération au mérite : « qui supervisera les entretiens individuels réalisés ? Qui vérifiera que le cadre sera impartial et objectif avec un salarié qu’il n’aime pas, et qui pourtant travaille bien ? Qui vérifiera que tout n’est pas fait à la tête du client ? Quelle sera la liberté d’expression des salariés si, dès qu’ils ouvrent la bouche pour exprimer un désaccord, ils sont pénalisés financièrement et voient leurs opportunités de carrière disparaître ? Il y a des risques totalitaristes dans ce genre de fonctionnement ! », estime un cadre de la CGT hospitalière, qui s’exprime anonymement car il « sait qu’il y a du harcèlement moral de certains supérieurs envers leurs subordonnés » : pour ces catégories de personnels là, « la vie va tourner du cauchemar à l’enfer ». Il n’est par ailleurs pas concevable, pour ce cadre, de « développer des primes modulables qui remettront forcément en cause le travail d’équipe, indispensable à toute mission de service public à l’hôpital. »

 

4Pour ceux qui sont favorables au système, en revanche, cela pourrait être un moyen – peut-être le seul – de lutter efficacement contre l’absentéisme dans la fonction publique, où le taux d’absents est toujours nettement plus élevé que dans le secteur privé : 7% en moyenne dans les collectivités locales, en hausse de 6% rien qu’en 2013, selon les statistiques les plus récentes ! Tandis que dans certaines grandes villes, il dépasse carrément les 10%. « Dans les ministères, les hôpitaux, les collectivités locales, les absences désorganisent les services, coûtent cher à nos finances et épuisent les agents », estime ainsi Luc Rouban, du Cevipof, qui a écrit un ouvrage sur ‘La fonction publique en débat’ (La Documentation française). « Etat, employeurs et syndicats commencent à prendre conscience des effets pervers du phénomène. A l’hôpital notamment, il y a un épuisement professionnel, parce que, pour combler les absences, on rappelle les gens pendant leurs repos, et la gestion des plannings devient un véritable enfer ». Ainsi, au CHU d’Amiens, où l’absentéisme a atteint les 10%, entre février et avril 2015, seuls 26% des arrêts de moins de six mois et 40% des arrêts longs ont été remplacés, selon une enquête menée par la section locale de Force Ouvrière. Un cercle vicieux a pris place, où l’absentéisme s’autoalimente, où la fatigue tourne au burn out chez ceux qui remplacent à la force de leurs petits bras les absents, partis sans être remplacés. Au total, sur 6l’ensemble des hôpitaux en France, la hausse des arrêts maladie cumulés de 2008 à 2011 équivaudrait à la perte de 10 000 emplois, selon le syndicat. « Là où les perspectives de carrière sont limitées, où la mobilité est une virtualité, où les cadres sont peu impliqués et où leur turnover est rapide, l’absence est devenue un mode de protestation contestataire, révélatrice d’une perte de motivation très sensible à l’hôpital », analyse Juliette Duveau, docteur en sciences économiques, et qui a écrit une thèse sur le sujet. Or, dans la fonction publique hospitalière, les agents de catégorie C représentent à eux seuls la moitié des effectifs, les tâches parfois les plus ingrates, les plus petits salaires, ceux sur lesquels les modulations sont faibles, et donc, ceux pour lesquels la prime au mérite pourrait représenter un levier très fort. La Ministre de la Fonction Publique Marylise Lebranchu le dit elle-même : « Les catégories C sont trop souvent des personnes que l’on oublie alors qu’elles rendent de vrais services. L’absentéisme est sans doute aussi le reflet d’un manque de management fin de ces publics, qui ne parlent pas fort ». Le bon remède, sont-ils de plus en plus nombreux à penser, serait donc non plus de punir, de sanctionner l’absentéisme, ou les fautes dues à la démotivation, mais au contraire, de s’intéresser aux conditions de travail, de récompenser, de motiver à nouveau tous ceux qui disent avoir perdu l’envie de faire, et donc, le sens du travail bien fait. Un système de prime, disent-ils, qui coûterait certes cher, surtout si tout le monde redevient « excellent » ou « exceptionnel »Mais qui coûterait toujours moins cher que les centaines d’arrêts maladie longue durée enregistrés chaque année par les hôpitaux de l’Hexagone.

 

 




1 commentaire

machado le 29 nov. 2015

Cette idée est complètement utopique et ne fonctionne pas, il existe déjà et ceux qui profitent des royalties sont ceux qui fichent la paix au chef.

Soit les critère et les instruments de mesure sont clairement quantifiables et explicites soit ils peuvent être interprétés et donc juste soit ce sera une injustice de plus.

En effet la majorité des « gestionnaires » de notes sont issus d’écoles ou on leur apprends à griller tous ceux qui peuvent leur faire de l’ombre , cela reviens à griller ceux qui ont des compétences et qui font du résultat, le bénéfice revient à ceux qui savent se planquer et au final les institutions en sont les perdantes.

Seul moyen pour arriver à quelque chose qui fonctionne, faire en sorte que la maîtrise soit juste et donc en aucun cas elle ne doit être issue d’un loi faite par des élus complètement à l’ouest, en l’occurrence des Socialistes!

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