Le tiers payant généralisé d’ici fin 2016 : Marisol Touraine persiste et signe

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ministreAlors qu’une quarantaine de syndicats et d’organisations étudiantes représentatives des professions ont de nouveau appelé à la grève et à une manifestation nationale pour le prochain week-end des 14 et 15 mars 2015, pour protester contre le projet de loi santé de Marisol Touraine, la Ministre n’a quasiment pas cédé d’un pouce sur son ambition de généraliser le tiers payant pour tous les Français, d’ici fin 2016… une mesure particulièrement mal vue par les médecins.

 

patientQu’est-ce que le tiers payant, d’abord ? Lorsqu’un patient consulte un professionnel de santé, le règlement de la consultation peut, pour le moment, se faire de deux manières : soit le patient ne bénéficie pas du tiers payant et il avance les frais, que l’Assurance maladie et sa complémentaire santé éventuelle lui rembourseront ensuite, en totalité ou partiellement, après transmission des informations via la carte vitale ou la feuille de soins. Si, en revanche, le patient bénéficie du tiers payant partiel, il n’aura rien de tout ce qui est pris en charge par l’Assurance Maladie à régler immédiatement au professionnel de santé, il devra uniquement s’acquitter du ticket modérateur, c’est-à-dire les frais non pris en charge. Enfin, si le patient bénéficie du tiers payant total, il n’aura strictement rien à avancer.

 

medecinA ce jour, donc, le tiers payant ne concerne pas tout le monde : il ne s’applique que pour certaines catégories de populations, et souvent sous conditions de ressources. Les bénéficiaires du tiers payant sont ainsi les patients pris en charge par la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou l’aide médicale d’État (AME). Mais aussi, les victimes d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, les bénéficiaires d’un dépistage organisé (dentaire, cancers…), les patients hospitalisés dans un établissement sous convention avec l’Assurance Maladie. Il concerne encore les patients qui subissent des examens de radiologie ou des analyses médicales et biologiques sur prescription, ou les mineures de plus de 15 ans qui consultent pour une contraception. Enfin, il s’applique aux consultations auprès du médecin traitant, et aux achats en pharmacie de médicaments prescrits et remboursés par l’Assurance Maladie.
feuille_soinsDans son projet de loi santé, Marisol Touraine prévoit donc, comme elle l’a encore fait savoir ce lundi 9 mars 2015, une généralisation du tiers payant de manière progressive à tous les Français, à l’horizon 2017. En clair, plus personne n’aura à avancer de frais de santé en France, quel que soit son statut social ou son niveau de ressources. Plus de chèque à signer avant de quitter le cabinet de consultation, l’hôpital ou le centre de soins, plus de remboursement à attendre : les transactions se feront uniquement entre les professionnels de santé et l’Assurance Maladie. Comme c’est déjà le cas pour les pharmacies, les laboratoires ou les infirmières libérales. C’était une promesse de campagne de François Hollande…. Mais c’est aussi la mesure la plus contestée de toutes par les médecins, qui s’y déclarent opposés à plus de 95%, selon un sondage Opinion Way publié il y a quelques mois.

 

tiers_payantPour le gouvernement, il s’agit de démocratiser l’accès aux soins. Pour les médecins, c’est de la « démagogie » et une mesure inutile, puisque ceux qui ont des difficultés financières sont déjà aidés, et que pour les autres, les soins restent accessibles, avec par exemple des consultations à 23 euros. « Je suis fils, petit fils et arrière petit fils de médecins, et mon cabinet est plein dès 8 heures du matin », raconte le Docteur Bertrand Legrand, qui exerce dans le nord de la France. « Mon problème ce n’est pas le tiers payant, puisque la moitié de mes patients est d’origine modeste et ne débourse déjà rien à l’issue de mes consultations. Aujourd’hui, ceux qui bénéficient du tiers payant sont ceux qui en ont vraiment besoin. Mon problème, et ce qui me choque, c’est que là, on va dépenser de l’argent pour des gens qui peuvent avancer les frais, qui n’ont pas besoin du tiers payant, qui ne le demandent pas, et pour moi ça n’a pas de sens. La seule différence que cela fera, c’est que cela va coûter très cher au cabinet, car ma secrétaire passe déjà une vingtaine d’heures chaque semaine à vérifier que l’Assurance maladie a bien remboursé mes visites sociales. Demain il lui faudra combien de temps pour accomplir ces tâches ? Ce sera à moi de l’aider ? Je n’ai pas déjà pas assez de temps pour tous mes patients ! Il ne faut pas oublier que ce surcoût s’ajoutera à des tarifs de consultation gelés depuis trois ans… pour avoir le même niveau de vie que mon propre père, puisque je peux comparer, je suis obligé de travailler beaucoup plus en termes de volume horaire et de rapidité des consultations exécutées. Or, je ne veux pas passer plus de temps avec l’administration, je veux passer plus de temps avec mes patients. C’est la raison pour laquelle, pour la première fois en huit ans d’exercice, je participe aux grèves, car je ne veux pas de cette médecine low cost qu’on veut nous imposer« .

 

Assurance_maladieLes médecins craignent donc que les seuls effets de la généralisation du tiers payant ne soient négatifs. Avec, comme première conséquence, la multiplication de leurs tâches administratives, mais aussi, encore plus de difficulté à se faire payer lorsqu’ils dépendront entièrement de l’Assurance Maladie et des mutuelles, dont ils redoutent les délais de traitement et les lourdeurs administratives : « Le vrai problème pour nous ce n’est pas le tiers payant, c’est la pénurie de médecins. On est en train de nous noyer sous la paperasse, avec le double collier étrangleur de l’Assurance Maladie et des Complémentaires pour être payés. Il n’est pas acceptable qu’on nous renvoie ainsi à plusieurs interlocuteurs pour être payés, avec l’incertitude de l’être au final », explique le Docteur Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président de la Fédération des Médecins de France ; les médecins lancent enfin la sonnette d’alarme sur les risques, pour le pays, de voir se creuser un déficit financier qui ne pourra, selon eux, que s’aggraver en termes de dépenses de santé avec la généralisation du tiers payant. Car celui-ci  revient à « déresponsabiliser le patient, en le poussant à la surconsommation des soins puisque pour lui, tout deviendra gratuit », argumente le Docteur Jean-Claude Leicher, président de MG France. Quand on sait à quel point les personnels de santé se plaignent déjà de travailler en sous-effectif dans des unités surchargées de demandes et débordées…

 

greve« Le tiers payant est une avancée sociale majeure », estime au contraire Marisol Touraine, qui répond à l’opposition des médecins par une autre statistique : « les deux tiers des Français sont favorables à sa généralisation ». Mais, afin de rassurer les professionnels de santé, elle a précisé ce lundi 9 mars : « moi, Ministre de la Santé, j’assume de porter cette mesure de progrès et de justice sociale. Pour ne pas inquiéter les médecins, je propose toutefois d’avancer progressivement. Le nouveau système informatique sera d’abord généralisé aux malades souffrant d’affections de longue durée, soit 10 millions de personnes. Par ailleurs, des pénalités devront être acquittées aux médecins par l’Assurance Maladie, si celle-ci met plus d’une semaine à rembourser un acte en tiers payant ». La Ministre est soutenue par le délégué général de la Mutualité Française, le Dr Jean-Martin Cohen Solal, qui a ainsi indiqué : « Nous y sommes favorables, de même que les pharmaciens, les radiologues, les biologistes, bref, tous les professionnels de santé qui pratiquent déjà le tiers payant et qui en sont satisfaits. Mais nous sommes sensibles aux remarques des médecins : les complémentaires devront proposer des délais de paiement courts, c’est une évidence ». Pour l’heure, la mobilisation prévue ce week-end est maintenue. Et il risque d’y avoir du monde. Tous syndicats de médecins confondus, pour une fois.

 

 

 




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