Les médecins intérimaires dans le collimateur

Temps de lecture : 4 minutes

ambulancesC’est un député PS, lui-même neurologue, qui a mis les pieds dans le plat : Olivier Véran, auteur d’un rapport remis lundi 16 décembre sur le coût du recours aux médecins intérimaires pour l’Hôpital Public. Et ses calculs semblent effarant : un demi milliards d’euros dépensés, chaque année, pour payer ces médecins appelés en renfort, que l’on appelle aussi « mercenaires » : souvent spécialistes dans des disciplines comme l’obstétrique, la médecine d’urgence, l’anesthésie, la pédiatrie ou la radiologie, ils sont appelés à la rescousse par les hôpitaux, qui ne parviennent plus à recruter en CDI dans ces secteurs là. « L’hôpital est confronté à une véritable pénurie, et les postes ne sont pas pourvus. Soit parce que l’administration n’a pas trouvé le candidat qu’elle voudrait, soit parce que les jeunes ne trouvent pas ces postes attractifs, parce qu’ils craignent de rejoindre des équipes sous dimensionnées, et qui sont en burn out ! » explique Jean-Pierre Crossoneau, Président de l’ordre Départemental des Médecins à Orléans.

 

« L’hôpital public est à la peine pour recruter ces spécialités, caractérisées par une forte pénibilité », souligne le député Olivier Véran dans son rapport. Des spécialités, où les astreintes sont compliquées, les horaires extensibles, les interventions imprévisibles, les risques nombreux, Medecin interimaireles assurances chères… et où la vie privée en prend un sacré coup. Alors il devient beaucoup plus rentable pour ces praticiens chevronnés de rester intérimaires plutôt que de se faire embaucher comme salarié pour une durée indéterminée. En effet, un « mercenaire » sera rémunéré en moyenne entre 600 et 800 euros les 12 heures de garde, quand un médecin spécialiste du même niveau de compétence en CDI percevra des honoraires de 260 euros en moyenne, pour la même durée de travail. Ainsi, un médecin employé à titre temporaire pourra toucher jusqu’à 15 000 euros par mois !

 

Toujours selon le rapport, la situation serait plus critique dans les petites structures, où il n’est pas rare que certains services soient composés à 100% de médecins intérimaires, faute de pouvoir se maintenir sans eux. « On n’a pas le choix, il faut faire tourner la boutique ! », explique ainsi un membre de la  Commission Médicale d’Etablissements dans une région sinistrée par la désertification médicale. « En radiologie nous n’avons qu’un seul titulaire, il faut bien des intérimaires pour l’épauler ! ». Medecins specialistesDans son rapport, le député Olivier Véran, lui, dénonce carrément une « omerta », pour ce phénomène qui aurait explosé ces dernières années. Manifestement, dans les hôpitaux, le sujet est plutôt tabou : impossible de référencer le nombre exact de médecins temporaires à l’Hôpital Public. Surtout, aucune structure n’a les compétences pour les répertorier. Toutefois, en se renseignant auprès des agences d’intérim, des sociétés de recrutement et des sites spécialisés dans les annonces, le rapport estime cette population de mercenaires à 6000 médecins, sachant que la réalité est bien au-delà : le plus souvent, tout se fait par le bouche à oreilles et le contact direct.

 

Ce qui fait polémique encore davantage que le reste, dans ce rapport, c’est que le député PS met carrément en cause la sécurité à l’Hôpital, avec ce système : «  Quand vous avez le médecin le mardi qui ne sera pas le même que le mercredi, qu’il viendra 24 heures ou une semaine, qu’il ne reviendra plus ensuite dans l’Hôpital, qu’il ne connaît pas les procédures, qu’il ne connaît pas l’équipe, qu’il ne connaît pas les malades et n’assure pas leur suivi au long cours, cela pose évidemment un certain nombre de questions », nous explique-t-il.

 

Une mise en cause qui fait bondir certains médecins intérimaires, qui estiment que leurs compétences sont à la hauteur de celles de leurs collègues, et qu’il ne s’agimedecin specialiste interimairet que d’un choix de mode de vie et rien d’autre. Quant à leur rémunération, ils la jugent juste : élevée, certes, mais méritée en compensation d’un fonctionnement qui reste soumis aux aléas de la précarité : « quand je suis disponible, je prends des contrats et je me donne à fond. Quand j’ai envie de vacances ou de passer du temps avec mes enfants, je ne travaille pas. Mais ce que je fais je le fais aussi bien qu’un confrère salarié en CDI, et si j’osais, je dirais même que je le fais mieux, parce que je suis reposé quand je reviens alors que lui est en tension permanente. Je suis disponible alors que lui est en stress et ne parvient pas à gérer de front vie professionnelle et vie privée. En revanche, quand on ne m’appelle pas, je ne travaille pas. Cela reste incertain. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Et notre retraite sera calculée à partir de feuilles de paie en accordéon ! » confie anonymement un jeune obstétricien intérimaire à Senlis, dans l’Oise.

 

Des dérives financières et déontologiques, donc, selon le rapport d’Olivier Véran, qui préconise a minima de plafonner le niveau de rémunération des médecins intérimaires. Et en même temps, ces derniers sont indispensables, et de plus en plus… Car cette année, les démissions de médecins titulaires à l’hôpital ont battu tous les records.

 

 




2 commentaires

gaelli le 9 janv. 2014

Moi je suis médecin titulaire, dans l’obstétrique. je suis scandalisée de la façon dont on prend le problème à l’envers. ce monsieur député lui même médecin veut quoi ? Accentuer la pénurie de médecins ? Que l’hôpital public soit blindé d’argent mais n’ai plus de personnel soignant ? Plutôt que de tirer à boulet rouge sur ses confrères, ce monsieur ferait mieux de se demander pourquoi plus aucun médecin veut être titulaire. parce qu’ils sont sous payés pour le mal qu’ils se donnent, pas reconnus par leur hiérarchie, devenue un repère de pontes administratifs sans aucune connaissance du terrain, de nos contraintes, de nos sacrifices ! On ferait mieux de tous démissionner pour se mettre en freelance à notre compte ! Vu la reconnaissance qu’on a… Merci en tout cas d’avoir évoqué ce problème dans votre article passionnant et bien objectif, et courage à mes confrères interimaires sans qui on serait tous seuls dans nos services à avoir juste envie de se tirer une balle !

Interim paris le 2 janv. 2014

Malheureusement cela existe depuis longtemps même si aujourd’hui il en existe de plus en plus. La France manque de spécialistes, c’est vraiment dommage !

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