Numérus clausus : 500 places de plus suffiront-elles à combler les déserts médicaux ?

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16Comment combler les déserts médicaux ? L’une des solutions consiste tout simplement à augmenter le numérus clausus du nombre de places en deuxième année de médecine, et c’est la mesure qu’a décidé de prendre la ministre de la Santé, Marisol Touraine : 22 facultés de médecine en France pourront se répartir 478 places supplémentaires à l’issue de la première année, pour le concours d’accès à la deuxième. Cela correspond à une hausse globale de 11% du nombre de places. Déjà, en 2015, la ministre avait relevé ce quota d’un peu moins de 200 places sur 2 ans.

 

14Est-ce une mesure réellement efficace ? En termes de nombre de médecins, oui, puisque la France va atteindre le chiffre de 8154 nouveaux médecins formés au niveau national, le plus élevé depuis 40 ans. Et ce n’est pas les étudiants désireux d’aller en deuxième année de médecine qui manquent : ils sont nombreux, chaque saison, à rêver d’intégrer ce fameux « numérus clausus » de la deuxième année… et nombreux, aussi, à ne pas y parvenir.

 

15Sauf que ce type de mesure, étant donné la durée des études de médecine, ne fait apparaître ses premiers effets qu’au bout de dix ans minimum… Surtout, ce n’est pas sur un coup de baguette magique que l’on règlera le problème de la pénurie de médecins… Tout simplement parce que pour pouvoir augmenter le numérus clausus, il faut d’abord augmenter le nombre d’universités : elles n’ont pas des capacités d’accueil illimitées, ni des infrastructures qui permettent forcément de gonfler leurs effectifs estudiantins. Problème aussi : le budget des facultés, qui n’a pas augmenté proportionnellement au numérus clausus : si ce dernier a quasiment doublé en moins de dix ans, c’est loin d’être le cas des subventions.

 

9Par ailleurs, l’augmentation du numérus clausus signifie aussi une hausse des charges pour les établissements hospitaliers qui les accueilleront – les rémunéreront – tout au long de leur scolarité, pour leur travail au quotidien : même peu payés, les étudiants d’une seule promotion coûtent extrêmement cher au budget de la santé : à 100 euros par mois pour un simple externe, avec des promotions à 8000 étudiants, on atteint les 800 000 euros mensuels, c’est énorme… Si l’on ajoute à cela les salaires des internes, le seul budget de cette masse salariale en formation représente à lui seul plusieurs millions d’euros chaque mois, et plusieurs dizaines de millions chaque année.

 

13D’après les étudiants eux-mêmes, l’augmentation du numérus clausus n’est pas forcément souhaitable au regard de la qualité des stages qu’ils effectuent dans les services hospitaliers : à force de relever les quotas, certains services se retrouvent avec plus de stagiaires que… de patients ! Résultat : moins de tâches à effectuer, une formation moins efficace, et un nombre qui « anonymise » les juniors au regard des « seniors », médecins et externes sensés les former : « ils sont tellement nombreux qu’on ne sait plus qui est qui », témoigne un chef de service. « Autrefois il y avait une forme de compagnonnage pédagogique entre les étudiants et leurs aînés, chaque médecin prenait un stagiaire sous son aile et lui présentait un maximum de services, de patients, de pathologies, l’accompagnait petit à petit vers la prise d’initiatives et les soins effectifs, puis les diagnostics, etc… aujourd’hui, ils sont noyés dans la masse, on est obligés de leur demander de ne plus venir tous les jours pour avoir suffisamment de travail à confier à chacun, et ce lien s’est fortement distendu ». Et surtout, la qualité des formations s’est considérablement délayée. Or, avoir davantage de médecins mais qu’ils sont moins compétents, là n’est pas le but…

 

8Au-delà de tout cela, augmenter le numérus clausus règlera-t-il vraiment le problème des déserts médicaux ? Si ces déserts étaient dus à une pénurie de médecins, peut-être… mais est-ce bien là le fond du problème ? En réalité, d’après les experts, il y a suffisamment de médecins en France, en tout cas selon l’absolu des chiffres. La problématique, c’est plutôt leur volonté d’aller exercer dans les endroits où ils manquent, et leurs réticences, souvent, malgré les mesures incitatives déployées par l’Etat, à quitter la ville pour la campagne, le service public salarié pour le libéral, et à préférer la médecine générale aux spécialités, mieux reconnues, mieux rémunérées et considérées comme plus « intéressantes » et « élitistes » donc valorisantes. On peut former autant de médecins qu’on voudra, s’ils continuent à vouloir tous exercer dans les zones attractives urbaines et à fuir les zones désertées, vieillissantes et plus rurales, le problème restera le même, à peu de choses près. Et ce n’est pas parce que l’on augmentera le numérus clausus des universités en régions que cela modifiera les vœux d’installation des futurs médecins qui y seront formés…

 

7Une telle politique ne peut donc être efficace qu’en étant associée à des mesures fortes pour redonner envie aux médecins d’aller exercer dans les zones où la demande et les besoins sont les plus importants : continuer à encourager la création de maisons médicales multidisciplinaires, imaginer de nouvelles primes d’installations mais aussi de fonctionnement dans les zones désertées, etc… Et il y a urgence : en France, le droit à un accès aux soins « égal sur tout le territoire » devient de plus en plus un fantasme, et de moins en moins une réalité.

 

 




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