Trisomie 21 : une intégration qui laisse encore à désirer

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21 mars : Journée mondiale de la trisomie 21. Une journée, parmi tant d’autres, où l’on parle – un peu, trop peu ? – de ces familles touchées par un handicap qui concerne pourtant 50 à 70 000 personnes en France. Alors, quel est leur quotidien ? Comment vivent les parents d’enfants trisomiques ? Quelle prise en charge pour ceux qui ont atteint l’âge adulte et se retrouvent parfois orphelins ? La France est-elle à la hauteur de leurs attentes, de leurs espoirs, de leurs besoins ? Voici quelques réponses, à travers des témoignages particulièrement émouvants.


Pascal Duquenne, acteur et dessinateur porteur de trisomie 21 dont l’enfance n’a pas été des plus simples

Le plus célèbre des trisomiques, c’est sans doute lui : Pascal Duquenne. En 1996, cet éternel jeune-homme atteint de trisomie 21, reçoit le prix d’interprétation masculine à Cannes avec Daniel Auteuil pour le film « Le huitième Jour ». Dans son discours de remerciement aux membres du jury, Daniel Auteuil déclare alors : « Merci d’avoir supprimé la différence, et d’avoir fait de Pascal un acteur à part entière ». La différence, pourtant, elle est en réalité toujours là, malgré le succès.

Heureusement, Pascal lui, n’a pas changé. Alors sa passion, il continue à la vivre sur les planches, au sein d’un centre de créativité pour handicapés mentaux de Bruxelles. Et il dessine, aussi : des dessins bourrés de talent, qui se vendent très bien. Comme ce petit garçon qui pleure, et dont il explique que c’est lui, enfant. « J’avais appris à changer de trottoir, face à la méchanceté, aux gens qui me traitaient de mongol. Je leur demandais de me laisser tranquille et de partir, mais cela me vexait ».

Mais ensuite, Pascal a appris à surmonter les critiques, à devenir plus combatif, à gagner son autonomie et à travailler. « J’ai montré que je suis capable de faire des choses, que je ne baisse jamais les bras. Je suis fier parce que je suis bien dans ma peau ». Grâce à cette volonté, la vie lui a offert ce que l’on appelle une destinée. Et la vie, Pascal l’aime, plus que tout. Il vit dans un coquet appartement à Bruxelles, il joue de la batterie et ne s’ennuie jamais. Mais il sait qu’il a eu de la chance, beaucoup de chance, et que l’immense majorité des personnes atteintes de trisomie n’ont pas bénéficié de la même bonne étoile. Alors, il reverse intégralement l’argent des ventes de ses dessins à des associations, dédiées à l’aide aux trisomiques.

Il donne aussi des centaines de conférences, en France, en Belgique, partout où on le réclame. « Tout le monde est différent. Je suis différent pour les autres, mais d’autres le sont pour moi. Je n’aime pas le mot handicapé et je n’aime pas l’entendre », aime-t-il à répondre à ceux qui l’interrogent. Fier, à sa manière, d’avoir contribué à changer le regard porté sur les trisomiques. Mais quand il regarde le film « Le huitième jour » et qu’il en entend la musique, même après 20 années, il ne peut s’empêcher de pleurer, encore. Preuve que quelque part, « la blessure de se sentir exclu est encore là ».

Annabelle, 26 ans, ne comprend pas le dépistage systématique de la trisomie 21

Cette blessure, chaque enfant, chaque adulte trisomique, leurs parents, leurs proches, tous savent à quoi elle ressemble. Annabelle, par exemple, 26 ans, employée au service courrier d’une administration publique, dans le nord de la France. Elle aussi estime avoir de la chance. On lui fait confiance pour mille petites tâches quotidiennes comme le courrier, les notes à tamponner, le classement de documents ou les photocopies. Elle se sent valorisée, heureuse d’avoir trouvé des collègues compréhensifs qu’elle nomme sa « deuxième famille ».

Mais elle garde une conscience aigue de sa différence, parce que tout, dit-elle, l’y renvoie au quotidien depuis sa naissance. Petite, à l’école. Aujourd’hui, dans les transports, les commerces, dans la rue tout simplement. Mais aussi à un niveau politique, par exemple lorsqu’elle entend à la télévision que le dépistage de la trisomie 21 est devenu systématique, grâce à un simple test sanguin. « Pourquoi les bébés trisomiques devraient être tous tués dans le ventre de leur maman ? » demande-t-elle, avec un mélange touchant de naïveté et d’extrême clairvoyance.

Ses parents, très actifs dans une association qui se consacre aux trisomiques, considèrent eux aussi qu’un dépistage systématique, c’est « une forme de volonté d’éradication »« Les enfants trisomiques sont des êtres merveilleux, doués d’une plus grande sensibilité que n’importe quel enfant dit normal. Quand ils aiment, c’est à 3000 %. Ils représentent parfois un fardeau, mais le plus souvent une immense richesse. On devrait mieux reconnaître ce handicap et aider davantage les personnes trisomiques et leurs familles. Ces enfants dont on espère finalement faire en sorte qu’ils ne naissent pas, c’est une forme de discrimination », estime le père d’Annabelle.


Clotilde et Nicolas, déjà parents de 6 enfants ont adopté 3 enfants porteurs de handicaps

Des parents, des associations, qui aimeraient que l’on dépasse enfin le débat entre « pro » et « anti » avortement, pour s’intéresser réellement aux questions de fond sur ce handicap qui touche un bébé sur 2000 naissances.

« La question n’est pas de polémiquer. Chaque cas est unique et chaque famille a le droit de réagir face à la trisomie 21, à sa manière et en fonction de ce qu’elle est », témoigne avec une très grande sensibilité Clotilde Noël, fondatrice de l’association « Tombé du Nid ». Un sujet qu’elle connaît de l’intérieur, pour avoir adopté l’une de ses petites filles, atteinte de trisomie 21. « Le handicap, la trisomie 21 comme tous les autres handicaps, est une réalité. Mais on peut dépasser les difficultés, les souffrances causées par cette réalité, et même en faire une chance et en tirer de vraies leçons d’amour, et un grand bonheur ». 

Cette adoption, Clotilde et son mari l’ont réfléchie, longuement, pendant six ans. C’est donc tout sauf un coup de tête ! « Aujourd’hui on veut tout raisonner, tout maîtrise. On ne veut plus lâcher prise et c’est dommage parce que cela endort les décisions que l’on va prendre par amour, tout simplement. Notre petite fille, pupille de la nation, qu’aucune famille n’attendait, pour nous au contraire c’était un choix d’amour. On s’est dit qu’on l’aimerait comme elle serait. Qu’on irait vers cette enfant avec ses particularités et ses différences. Des différences qui la rendent unique ».

Mais aujourd’hui, Clotilde Noël, comme de nombreux autres parents impliqués dans la trisomie 21, a choisi d’être militante. Elle estime que, si les médecins, les éducateurs, les spécialistes font très bien leur travail en France, la société française au sens large, reste globalement très ignorante de ce que peut être la vie au quotidien avec un enfant handicapé. Et que, trop souvent encore, les droits de ces enfants – et des adultes – handicapés ne sont pas suffisamment respectés. « Il faut être davantage dans le concret, dans l’accompagnement au jour le jour ».

Aujourd’hui, cette femme d’une extraordinaire douceur explique, en toute simplicité, qu’il faut que la société cesse de vivre le handicap comme un « encombrement », comme une forme de « nuisance », parce que c’est simplement « une manière d’avancer différemment, en dehors des codes, mais qui peut rendre foncièrement heureux, et c’est notre cas ».

Caroline : une maman en colère et qui le fait savoir !

Caroline, maman de Louise, a, elle, choisi les réseaux sociaux pour donner un écho à son coup de colère. Sur facebook, elle publie des photos de sa fille, accompagnées de ses réflexions sur les clichés et les réflexions blessantes qui sont le lot quotidien des personnes trisomiques et de leurs proches. Lassée des maladresses trop souvent entendues, elle écrit : « non, son 47eme chromosome n’est pas ce qu’elle est, c’est juste ce qu’elle a ! ». Un plaidoyer d’amour qui fait le tour du monde. Il est traduit dans toutes les langues et lu par des centaines de milliers d’internautes.

« Pour Louise, le diagnostic est tombé quelques jours après la naissance. Nous avons bien sûr d’abord encaissé le choc. Puis c’est quand j’ai du expliquer le handicap dont elle souffrait à son grand frère que j’ai eu le déclic », raconte Caroline, tout en berçant sa petite fille avec une infinie tendresse. « C’est l’un des médecins que nous avons rencontré qui a insisté pour que notre petit garçon de 4 ans entende le terme de trisomie pour la première fois dans notre bouche, et pas dans une cours d’école où « triso » c’est une insulte débile et méchante encore aujourd’hui. J’ai peur que Louise comme son frère puissent souffrir du regard et des mots des autres ».


Des progrès à faire en matière de prise en charge et d’accompagnement

Marc B., psychologue, l’affirme : « C’est fondamentalement aux soignants, aux accompagnants, à tous ceux qui sont responsables de la prise en charge des personnes trisomiques en France, d’aider les familles à faire leur chemin, à poser leurs jalons, à décider de l’orientation de leur vie. C’est à nous aussi à être vigilants sur le fait qu’ils puissent obtenir les outils nécessaires au développement de l’enfant, de la manière la plus harmonieuse possible, pour limiter au maximum le décalage avec les autres enfants ».

En la matière, la France a-t-elle alors encore des progrès à faire ? Oui, répondent unanimement l’ensemble des acteurs du monde associatif lié à la trisomie 21. Leur souhait aujourd’hui ? Une meilleure reconnaissance des projets, des goûts, des compétences et des envies des personnes trisomiques. Sans oublier, une meilleure intégration dans tous les domaines de la vie, de la crèche à l’école, et jusqu’à l’autonomie des adultes, qui est possible bien plus souvent qu’on ne le pense, pour peu que l’accompagnement soit efficace et approprié et les prestations de compensation financière du handicap, à la hauteur des besoins. Car même si, partout en France, de belles initiatives voient le jour en faveur des personnes trisomiques… les avancées restent clairement insuffisantes, et souvent dotées de bien maigres crédits.




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