Médecin légiste : une profession encore tabou ?

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Il est 3H40 du matin. L’identité judiciaire et le juge d’instruction de service sont entrés dans une cave où git le corps d’une femme sans vie. Les médecins légistes vont retracer l’itinéraire de ce cadavre. On a retrouvé une blessure au niveau de la tête. Pas d’arme dans les environs. On transporte donc le corps à l’Institut Médico Légal pour identifier formellement la victime, comme la grande majorité des morts violentes, des décès indéterminés, des suicides ou des personnes accidentées. Entre 1 et dix cas par jour dans les grandes villes, soit quelque 500 cadavres par an. 
Accident ou homicide ? L’autopsie répondra à la question : déterminer les causes d’un décès, c’est la première mission du médecin légiste


Une spécialité médicale qui manque cruellement de candidats

Pourtant, c’est l’une des plus anciennes : quand les facultés de médecines ont été créées, les premières chaires étaient des chaires d’hygiène « thanatologique », qui vise à définir si les décès sont liés à une cause naturelle ou pas. Malgré des siècles de pratique, pour le grand public il reste difficile de comprendre ce qu’est précisément la médecine légale, au-delà des séries télé souvent éloignées de la réalité.

Le médecin légiste, c’est d’abord et avant tout l’intermédiaire des magistrats, pour résoudre les questions du droit qui concernent la médecine.

Le rapport avec la mort et les cadavres, que croise chaque jour le médecin légiste dans sa vie professionnelle, est très particulier. « On a un grand respect pour le corps et la dépouille », explique l’un des praticiens de l’Institut qui nous a ouvert ses portes. « Mais on doit aussi le faire parler, ce corps, pour donner notre avis aux magistrats qui nous mandatent. On doit avoir le rapport qu’a un clinicien classique avec un patient classique. Dans certaines affaires douloureuses et pénibles, soit qui concernent des enfants, soit qui ont eu lieu dans un contexte particulièrement dramatique, il faut apprendre à faire face. Ce n’est pas donné à tout le monde de faire de la médecine légale.

« Il faut avoir une personnalité suffisamment solide pour faire un métier très dur »

On rencontre toute la misère du monde, il faut parfois se rendre à l’extérieur dans des conditions extrêmes, on peut être obligé de travailler 48 heures à la suite pour examiner les victimes et les identifier, il faut prendre en compte la tension que ça représente. Nous ne sommes pas insensibles mais nous devons être forts. Il ne faut pas avoir peur de la mort pour pouvoir la côtoyer tous les jours. Ne pas trop penser, mettre certaines questions hors de notre champ de conscience ». 

Les frais liés à la médecine légale sont pris en charge par la justice… une étape à laquelle renoncent, hélas, certains magistrats par souci d’économie. « Lorsque le magistrat s’estime suffisamment informé par les données de l’enquête et par les premières constatations médico-légales, il peut décider d’arrêter là les investigations. Alors que souvent, l’autopsie permet de compléter les choses et de confirmer la mort naturelle ou au contraire d’apporter des arguments pour une mort accidentelle ou criminelle », explique le Directeur de l’Institut.


Médecin légiste un métier intrigant et fascinant

« On a du me poser 2000 fois la question : pourquoi devenir médecin légiste ? », poursuit le médecin. « On ne se réveille pas un matin en se disant : je vais devenir médecin légiste. Souvent, c’est le raisonnement médico-légal qui est fascinant, résoudre un mystère scientifique, c’est ça qui est extraordinairement intéressant. Faire les bonnes constatations pour pouvoir faire une bonne interprétation, avec humilité. Il faut connaitre ses limites, même si ça déplaît, parce que les gens qui nous mandatent aimeraient souvent qu’on leur dise que c’est blanc ou noir, et nous on leur dit souvent que c’est gris… »

La profession de médecin légiste, si elle procure l’adrénaline et l’excitation liées à toute enquête, est aussi lourde d’enjeux. En fonction de la réponse du praticien, quelqu’un sera peut-être désigné comme coupable, sanctionné, et mis en prison. A l’inverse, si un cas est  sous-estimé, il y a des risques de laisser un criminel récidiver. « Le plus difficile, en tout cas pour moi, ce sont les cas de suspicion de maltraitance sur les enfants », se confie un autre médecin de l’Institut.

« Le diagnostic n’est pas facile surtout au début, et quand ça devient évident, c’est souvent qu’il est trop tard… Il faut vraiment être minutieux, précis, hyper concentré sur tout. Si on se trompe et qu’on est trop catégorique, on va inquiéter des parents et exposer des adultes innocents… Mais si on est trop timoré, on expose l’enfant à vivre un nouveau cauchemar qui peut aboutir à la mort. Un vrai dilemme. Il y a certaines nuits où je me réveille en me demandant ce que je vais dire ».


La médecine légale évolue rapidement, avec la technologie

L’imagerie par résonnance magnétique, le pet scan, l’échographie sont autant de techniques qui sont entrées dans les salles d’autopsie. Il existe aussi aujourd’hui des spécialistes de l’imagerie médicale post mortem. Ils vont lire le corps par scanner avant l’autopsie traditionnelle. Cette approche virtuelle permet de disséquer la victime sans toucher au scalpel. Cela permet également de repérer des résidus de poudre, reconstruire l’image du crâne en deux ou en trois dimensions, identifier la trajectoire d’un projectile.

« L’imagerie post mortem représente au moins quatre avantages », explique le directeur du centre. « Cela permet d’orienter les investigations avant l’autopsie, d’explorer des régions du corps difficiles d’accès avec le scalpel, de produire une documentation de meilleure qualité que des photos, pour les juges, et enfin de numériser l’imagerie pour la retravailler ultérieurement à l’occasion d’examens complémentaires, voire de nouvelles expertises. » Le scanner est par exemple idéal pour découper un squelette, l’angiographie pour visualiser veines et artères, d’autres appareils IRM de dernière génération permettent d’étudier les tissus mous, et les lésions sur la peau.

Pour le juge d’instruction, c’est aussi un « plus » quand l’atteinte à l’intégrité physique du mort va ajouter une souffrance à la famille, qui vit déjà un drame. « Une médecine légale moins invasive permet de préserver l’apparence extérieure du corps. Notamment quand la victime est un bébé, ou un enfant ». C’est une éclaircie pour l’avenir de cette spécialité médicale, un peu boudée parce qu’elle véhicule trop souvent le cliché du « boucher », qui s’occupe d’ouvrir et de dépecer les morts ! L’imagerie post mortem est déjà reconnue par la communauté internationale. Le matériel existe… Reste à compléter la formation des médecins légistes pour qui ces pratiques sont très nouvelles.


La médecine légale est aussi une médecine des vivants…

On l’ignore souvent mais la médecine légale prend aussi en charge des victimes vivantes : viol, maltraitances, accidents de la route… Ces médecins délivrent les certificats que leurs patients utiliseront devant un tribunal. Une étape incontournable pour de nombreuses victimes, qui demandent réparation. A mi-chemin entre médecine et justice, le médecin légiste est un acteur primordial de la société civile. Il est très dommage que cette profession ait encore à souffrir d’un certain nombre de tabous.




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