Don d’organes : faut-il se passer du consentement des familles ?

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organeCe mardi 14 avril 2015, les députés français se sont prononcés pour un amendement au projet de loi Santé de Marisol Touraine, amendement qui renforce le principe du consentement présumé au don d’organes. En clair, « qui ne dit mot consent » devient le postulat de base, après le décès d’une personne majeure. Sauf écrit du défunt de son vivant, stipulant expressément son refus à donner ses organes et enregistré en bonne et due forme au registre national des refus (mais d’autres moyens d’indiquer son désir de ne pas voir ses organes prélevés, sont à l’étude et devraient être connus d’ici 2017), alors la médecine pourra se passer du consentement des familles, qui n’auront plus leur mot à dire.

 

Registre_refusVoilà qui fait évidemment intensément débat, dans la société. Car jusqu’à présent, si la personne décédée ne s’était pas inscrite au registre national des refus de don d’organes, c’était à la famille que revenait la responsabilité de trancher. Un choix douloureux, qui intervient forcément quelques minutes ou quelques heures après la perte de l’être cher, et qui débouche sur un refus de prélèvement, dans plus d’un tiers des cas : 40% exactement des transplantations potentielles n’ont finalement pas lieu, car la famille ne parvient pas à donner son accord de manière unanime. La mise en place du « don d’organes systématiques », pourrait donc augmenter d’au moins 25% le nombre de greffes pour les malades en attente. Mais voilà, c’est une mesure qui choque.

 

medecin« Non à la nationalisation des cadavres ! », s’insurge ainsi l’éminent professeur de médecine et député UMP, Bernard Debré. « Il existait jusqu’à présent un registre national dans lequel peuvent s’inscrire ceux et celles qui par altruisme, par solidarité annonçaient leur volonté [de donner leurs organes, ndlr]. Mais peu de Français le savent et peu d’entre eux se sont inscrits. Que faut-il faire pour obtenir des organes à greffer ? La solution la plus humaine, la plus respectueuse aurait été de développer une information officielle, voire de proposer systématiquement aux Français cette éventualité, sans jamais les obliger, ni les contraindre par la loi. Or, voici que dans la loi santé de Marisol Touraine, tout va changer. Il ne sera pas nécessaire d’obtenir l’accord des familles. Toute personne qui décède brutalement et qui est susceptible d’être donneur d’organe pourra être prélevée. Les familles seront simplement informées ! Cela est incroyablement brutal et inacceptable ! Il s’agit ni plus ni moins que de l’étatisation du corps dès sa mort. Cette brutalité législative transforme fondamentalement la philosophie du don d’organe ».   

 

carte_vitaleLa Ministre de la Santé, Marisol Touraine, a réagi aux violentes critiques qui ont suivi le vote de l’article 46 ter du projet de loi de Santé. « Il n’y a pas de passage en force, il ne s’agit pas d’imposer le prélèvement à qui que ce soit, il s’agit d’alerter sur le fait que nous avons besoin de don d’organes, nous avons besoin de prélèvements (…) », a-t-elle indiqué. « Nous sommes aujourd’hui dans un pays dans lequel nous avons besoin de greffe. Il n’y a pas assez de dons, pas assez de greffes. Nous allons donc engager une concertation pour dire la manière dont on pourra exprimer son refus et ne pas être prélevé. Cela pourra être sur la carte Vitale, sur un papier, mais il faut qu’il y ait une concertation avec les familles, les associations, les médecins. C’est ce travail-là qui va se faire, parce que nous avons besoin de dons. Mais évidemment on ne procède pas en la matière comme s’il s’agissait de n’importe quoi ».

 

dossierN’empêche : avec le consentement par défaut, le médecin ne sera plus légalement tenu de suivre la décision de la famille, et pourra prélever les organes du corps du défunt contre le gré de ses proches. Ce qui heurte forcément, dans nos sociétés : « Massivement favorables au don d’organes parce qu’ils savent que la greffe sauve des vies, les Français cultivent dans le même temps des paradoxes et des freins d’ordre irrationnel, liés à des croyances et des valeurs, à la perception du corps de l’être aimé… Par exemple, 54% des personnes interrogées, notamment les femmes, pensent qu’il est plus difficile de donner son accord pour certains organes et 45% estiment que le corps risque d’être mutilé, croyance forte chez les tranches d’âge les plus âgées », explique un membre de l’Agence de Biomédecine. « 23% des Français considèrent aussi que le don d’organes va à l’encontre de la religion ».

 

greffeL’explication, est donc aussi largement culturelle, et historique. « Penser au don d’organes implique généralement d’envisager sa mort, bien avant la fin de sa vie. Nous craignons tous notre propre disparition, et quand nous l’évoquons, c’est dans la perspective d’un futur lointain. Il y a aussi la peur inconsciente de l’erreur médicale, du patient encore vivant au moment où on lui prélève ses organes, parce qu’on le croit mort, c’est un fantasme inconscient récurrent », explique le psychanalyste Karl-Leo Schwering, spécialiste de ces questions, auteur de plusieurs textes dont L’identification au donneur en transplantation d’organes, et La mort n’est plus ce qu’elle était, redéfinition de la mort et transgression. « Chacun d’entre nous, frappé en plein coeur par le deuil d’une personne aimée, vit un moment de déni, d’incapacité psychique à admettre le décès. Et à cela, s’ajoute la réalité physiologique, celle du prélèvement, qui est présenté à un moment où le défunt étant maintenu en vie dans un état de mort cérébrale, il y a la respiration, les battements du cœur, la peau encore chaude et rose, le thorax qui se soulève, pas de raideur cadavérique ni de teint blafard, même si le sang a cessé d’irriguer le cerveau : rien ne signale visuellement le décès. C’est donc très difficile pour les proches d’envisager que l’on va, en quelque sorte, profaner ce corps qu’ils ont tant aimé et qui vient à peine de cesser de vivre, sans que cela ne se voit vraiment. »

 

secoursAu-delà de la question du corps, le fait de se passer du consentement des familles est vécu par beaucoup comme un viol des derniers moments d’intimité et de liberté avec la personne chère. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont en majorité des professionnels de santé, des médecins spécialisés dans les prélèvements, ou dans la greffe, voire certaines familles de donneurs ou de greffés, qui s’insurgent aujourd’hui. Pour le Professeur Claude Ecoffey, Président de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR), « cela va fatalement augmenter les conflits, car les familles vont vivre ce qui jusqu’alors était un don, comme un viol, dans la mesure où leur volonté ne pèsera plus rien, face à une sorte de processus écrasant de nationalisation des corps ». Dans une pétition adressée à la ministre de la Santé, des médecins et les infirmiers des différentes coordinations hospitalières de prélèvements d’organes et tissus en France, ont écrit leur « refus consterné » de cette « proposition contraire à leurs valeurs et à leur éthique de soignant ». Au total, plus de 270 signataires, pour lesquels « l’application de cet amendement conduira de manière inéluctable à une perte de la notion de don pour tout ce qu’il contient d’humanité. Une telle attitude sera vécue par les familles comme une négation de la personnalité et de la mémoire du défunt (…) Nous sommes convaincus qu’une telle modification de la législation aboutira à terme à une chute de cette activité et va entraîner la perte de confiance de la part des familles ainsi qu’une défiance vis-à-vis du personnel soignant ».

 

santeAu Centre Hospitalier de Lens, dans le Pas-de-Calais, où l’on réalise notamment des transplantations cardiaques, l’équipe chargée de la coordination avec les familles panique : « C’est facile de légiférer, ce ne sont pas les législateurs qui se retrouveront face aux familles, au moment crucial où elles doivent réaliser que leur proche est parti pour toujours, qu’elles ne le reverront plus. Nous ne pourrons pas aller contre leur opposition au don des organes, si elle survient. Les gens vont devenir fous. Cela va créer des situations ingérables. Pour les équipes sur le terrain, cette loi sera inapplicable ». Renaloo, association française de malades et de greffés du rein, s’est également exprimée, se disant «réservé» sur cette mesure qu’elle juge « discutable et liberticide pour tous ceux qui y voient une appropriation des organes par la société, sentiment contre-productif qui risque de faire diminuer le taux de prélèvements ».

 

reanimationEn revanche, de très nombreuses autres associations de greffés ont exprimé un sentiment extrêmement favorable au prélèvement automatique. Ainsi, Pour Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de vie, « il faut faciliter la démarche pour les proches, car il est trop difficile pour eux, dans la douleur, de répondre ‘oui’ en l’espace de quelques instants. Ils ont tendance par précaution à refuser le prélèvement, et souvent, ils avouent être nombreux à l’avoir regretté par la suite. Le taux de refus ne cesse d’augmenter, de manière extrêmement inquiétante ! Il est passé de 9,6 % en 1990 à 33,7 % 25 ans plus tard, et même à quasiment 40 % si on s’en tient aux greffons utilisables. Or, le nombre de patients en attente de greffe a triplé depuis les années 90, on compte aujourd’hui environ 19 000 personnes en attente d’une greffe, en France. Et ce nombre augmente beaucoup plus vite que le nombre de greffons disponibles. 1 % de refus, cela représente 100 greffons pour tous ceux qui attendent, alors réduire le taux de refus, cela veut dire sauver entre 500 et 700 vies chaque année ! »

 

 




5 commentaires

moreau le 28 juin 2015

Bonjour, jusqu’au mois d’avril j’étais pour le don d’organe « volontaire ». Depuis cette loi, je réfléchis, et j’ai alerté mon entourage professionnel (je travaille dans un centre de rééducation), familial… sur cette loi inacceptable. Comment l’Etat peut il se permettre de décider du devenir d’un corps humain sans un entendement avec les familles déjà traumatisées par la perte et le deuil brutal? Mais cela est à l’image de certaines décisions politiques de ces derniers temps! Quand le défunt sera de religion musulmane, témoin de Jéhovah ou autre, en sera t il de même? Je pense que cette loi va réellement avoir l’effet inverse de celui escompté. Et étant donné qu’il faut s’inscrire pour ne pas être donneur il va y avoir du courrier à gérer en masse donc des délais d’enregistrement. Il est vraiment de dommage que de telle décision soit prises sans prendre en compte le côté humain de « vivants », sans prendre en compte l’avis de la population, et soit disant pour le bien être de tous. Je me demande aussi si ces personnes bien pensantes sont elles mêmes en accord et laisseront le prélèvement se faire sur eux même ou un de leur proche?
N’hésitez pas, faites bien passer le message.

Angèle le 3 mai 2015

Bonjour,

Pour ma part, je suis pour sauver des vies. Je fais partie des gens qui se présentent régulièrement au don du sang. Mais par moment je ne peux pas à cause le faite d’être malade ou j’ai réalisé un nouveau tatouage.
J’ai le don du sang qui me harcèle souvent par courrier, par SMS et par appel pour aller donner mon sang.
J’ai répondu une seule fois au téléphone pour discuter avec la personne et vous savez ce que cette femme m’a dit?

Premièrement quand vous l’entendez parler, c’est pas agréable du tout car sa voix est froide et dur. Elle m’a dit : pourquoi vous ne pouvez pas donner votre sang? (elle insistait plusieurs fois car elle voyait que j’étais vague puisque je lui ai dit que je n’étais pas malade) et quand elle a su que je me suis fait un tatouage, voilà ce que elle a dit :

Pourquoi vous vous êtes faites tatouer?!?!! Bah oui en effet que vous ne pouvez pas donner votre sang! Non mais franchement c’est quoi le besoin de se faire tatouer?!! Nous, le don du sang on a besoin de beaucoup de sang en ce moment! C’est quoi ces gens qui deviennent égoïstes et qui pensent que à eux!! Vous êtes fières Mademoiselle?!

J’étais trop abasourdie par ce que j’ai entendu que j’ai raccroché à cette dame et je n’ai plus jamais répondu.
Si c’était elle qui aurait besoin de sang, je ne lui aurai jamais donné mon sang, je l’aurai laissé mourir.
Dès que j’ai pu donner mon sang, j’y suis allée. Ma tatoueuse était choquée de la façon que cette dame a pu me parler et elle a même dit : C’est leur règle à la con de 4 mois de ne pas pouvoir donner son sang suite à un tatouage. Ma boutique est réputée, les outils et l’encre sont propre et respect les produits.

Moi pour ma part, on m’a traité souvent de raciste dans ma vie parce que tout simplement je suis blanche de peau. Je n’ai ni agressé verbalement ni physiquement. Je suis une fille totalement peace and love. Ce mot raciste sort trop facilement de la bouche des gens quand cela les arrangent. Quand je leur dis que je donne mon sang, ils me rient au nez et ils me demandent la carte. Et ils me disent : cela fait un petit moment que tu n’es pas allée donner ton sang, cela ne prouve rien.

Bah merde, je suis blanche de peau et je ne parle que le français que cela fait de moi la vieille française (comme ils disent ces gens-là) et donc que je suis « raciste?!?!!.
Merde, je suis la première à venir aider quelqu’un dans la rue qui est en difficulté! Noir, asiatique, arabe etc… je m’en fiche de la couleur de peau tant que une personne est en difficulté j’aide. C’est comme le sang, qui est le receveur?je m’en fiche! Il en a besoin!

En ce qui concerne le don d’organes, je suis pour. Après, il faut arrêter de mettre à tout bout de champs la religion. Les gens qui voient mourir un de leur proche se cachent derrière la religion pour que l’on ne touche pas au corps de l’être aimé.
Mais dans le cas où, l’être aimé n’est pas mort mais il est à l’hôpital à cause d’un accident et que il a besoin de sang ou même d’une greffe, que c’est marrant, le discours ne suit pas toujours la voie de la religion. Certains laisseraient mourrir leur bien-aimé que d’être contre leur religion.
Et d’autres par contre, préfèrent aller demander pardon à dieu pour avoir autoriser dinstaller une greffe sur son être aimé pour que ils soient en vie.

La religion doit être mise de côté car elle va contre sauver des vies. On a de la chance d’avoir une technologie en médecine qui nous permettent de rester en vie plus longtemps et d’être avec notre famille. Quand j’entends beaucoup de croyants dire : c’est Dieu qui a soufflé à l’oreille de l’homme ses connaissances.

Alors pourquoi reniez-vous sa technologie alors que c’est lui qui l’a soufflé à l’oreille de nos savants? Nos ancêtres sont mortes dans d’atroces souffrances et certains auraient pu être sauvé, pourquoi nous, on ne pourrait pas l’éviter?

J’entends par moment : « ce n’était pas son heure de mourir ». Nous mourrons tous un jour ou l’autre, c’est vrai, mais quand on peut éviter l’échéance trop vite, à saisir!

En conclusion : soyez moins égoïstes. Des gens font des dons de leur organes ou des gens comme moi, donnent leur sang mais vous, qui êtes contre le don d’organes, qu’avez-vous apporté à d’autres en dehors de votre petite personne? Vous remerciez les gens qui l’ont fait, mais en êtes-vous capable futurement d’en faire autant pour les autres?
Certains n’ont jamais rien donné dans leur vie et ils supplient aux autres de leur donner ce que eux ne sont pas capable de donner.
Vous imaginez que moi on m’engueule!! On me crache à la gueule. Par moment, je pense à moi car je trouve cela dégueulasse que moi qui suis gentille et donnatrice, on viennent me reprocher d’avoir penser à ma gueule. Pourquoi ils engueulent pas les gens qui sont en bonne santé et que ils ne donnent rien?? C’est quoi cette mentalité.

LEMOINE jacques le 2 mai 2015

Je vous invite à lire le livre de Maylis de Karangal
 » REPARER les VIVANTS »
une veritable ode au don d’organe
qui ne fait aucune impasse
notamment pas celle de l’effondrement des proches…

Ce don final n’est pas que le fait de celui qui est sur le chemin d’un autre temps
mais aussi le don de tous ceux qui sont encore intimement liés à lui

La réduction de ce don d’organe à des questions techniques est un blasphème
au caractère sacré de la vie des humains

Souhaitons nous de continuer à avoir un profond respect pour la Vie
Ce n’est que dans ce climat que le don d’organe restera un beau passage de relais

Il n’y pas d’Amour sans Beauté
Et le don d’organe doit rester un beau geste !

petron le 2 mai 2015

on nous met déjà pleins d’interdits en France alors qu’on s’est battu pour avoir certains droits qu’aujourd’hui on nous enlève. On est espionnés sur tout, le mot liberté ne veut plus rien dire. Je suis en colère car même si l’on a besoin d’organes (je ne suis pas contre de donner avec mon accord, (mais on ne prendrait plus rien sur moi, etant encore sous des traitements, suite à un cancer). Mais notre corps est tout ce qu’il nous reste alors ayons le droit de dire ce que nous voulons décider pour nous-même. Ca suffit !!! j’ai trop souffert des mensonges et non dits autour de moi par la médecine manipulatrice, prenant ses patients pour des cobayes, alors stop, notre corps nous appartient , défendons nous, ne nous laissons pas faire comme tous ces pauvres animaux maltraités en France et ds le monde, c’est encore une histoire de fric. Nous avons encore le pouvoir de décider ce que nous souhaitons, nous n’avons encore pas Alzheimer !!!!

marr le 2 mai 2015

Dans ce cas que Mariole Touren prenne en charge les frais d’obsèques, on ne nous rendras donc pas notre défunt dans sa totalité
Je reste sur l’accord personnel du dons d’organes

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