Le viagra au féminin : réelle avancée pour ces femmes qui souffrent d’une absence de désir ?
24 août 2015 0 commentaire Marie MEHAULT
Qui sont ces femmes qui souffrent d’une libido en berne ? Un sujet souvent tabou, dont on parle peu, et que les premières concernées préfèrent garder pour elles… Pourtant, elles sont plus nombreuses qu’on ne le croit, et souvent plus jeunes qu’on ne le pense : selon plusieurs études médicales, au moins 40% des femmes non ménopausées présenteraient à différents degrés une hypoactivité sexuelle, ne résultant d’aucun problème biologique, psychologique ou médicamenteux.
Petite révolution annoncée hier, mercredi 19 août 2015, dans tous les médias : l’autorisation de mise sur le marché américain du nouveau « viagra pour femmes », le Flibanserin, commercialisé sous le nom d’Addyi. C’est l’Agence Américaine des Médicaments qui a finalement donné son accord, après deux refus en 2010 et 2013, et il pourrait arriver en France d’ici un an. Voilà qui pourrait changer la vie de nombreuses femmes, en souffrance à cause d’un manque d’appétit sexuel qui perturbe leur vie de couple et leur humeur. Le Flibanserin permettrait en effet de redonner du désir aux sujets féminins qui l’ont testé, puisque d’après les essais cliniques, les « testeuses » ont témoigné avoir eu « plus de 4 expériences sexuelles satisfaisantes en un mois ».
« C’est une petite révolution ! », s’enthousiasme Sylvain Mimoun, gynécologue, andrologue et psychosomaticien spécialiste des questions liées à l’intimité féminine. « Le trouble sexuel numéro 1 chez la femme, c’est le trouble du désir. On sait qu’une femme sur deux se plaint, à un moment donné de sa vie, de difficultés par rapport au désir, et dans l’enquête que j’ai réalisée avec l’Ipsos, nous avons pu constater que 97% des femmes interrogées ont reconnu avoir dans leur vie des moments plus ou moins longs de baisse de désir ». Pour ce médecin, le viagra féminin n’est « certainement pas une arnaque mais une vraie avancée, car de nombreuses femmes attendent ce type de produit depuis des années. « Elles se disent de plus en plus, pourquoi est-ce que les hommes quand ils ont un problème de ce côté-là on leur donne quelque chose, alors que pour les femmes on part du principe que c’est dans la tête. Ce médicament désinhibe, il enlève les freins, cela peut donc permettre d’obtenir des progrès, et on dépasse tout de même les 50% de succès. Ce n’est donc pas une pilule miracle, mais c’est un produit qui va permettre une prise en charge sexothérapique et psychologique plus efficace. Les choses peuvent se passer progressivement de mieux en mieux, car ce médicament joue sur la sérotonine, une hormone qui joue elle-même un rôle important sur le sommeil, l’agressivité ou les comportements alimentaires. Objectivement, pour l’avoir testé à l’époque où il était en France, les femmes en étaient plutôt contentes. Un produit qui n’a pas d’effets secondaires est un produit qui ne marche pas. Maintenant, c’est vrai que c’est un psychotrope, il y a donc des bénéfices mais aussi des risques. Tout va reposer sur le dosage. Un produit comme celui là, s’il est trop dosé, va donner envie de somnoler, mais s’il est bien dosé, cela ne donne pas envie de dormir ».

Présidente du laboratoire Sprout
Evidemment, cette avancée scientifique et médicale pose aussi des questions de société : ses détracteurs estiment que cela peut avoir des effets pervers, en incitant les femmes à se libérer, à faire tomber les barrières, mais pour satisfaire davantage le désir de leur partenaire que le leur propre. Un faux problème pour les spécialistes : « C’est un comprimé qui ne pourra être utilisé que sur ordonnance, et de manière ponctuelle. C’est un avantage car beaucoup de femmes ne sont pas prêtes à prendre quelque chose de manière permanente, au long cours. Il ne pourra être consommé que par des femmes qui ne sont pas ménopausées, c’est-à-dire plus généralement des trentenaires qui ne sont pas dans l’idée de prendre quelque chose pour remplir leur devoir conjugal, d’une certaine façon, ce sont des femmes qui sont plutôt tournées vers leur propre plaisir ». D’autres, accusent les laboratoires de médicaliser le sexe pour en tirer profit, comme la psychologue et thérapeute Leonore Tiefer, de l’Université de New York, farouche opposante à l’Addyi. Là encore, les sexologues et les gynécologues partisans de la petite pilule rose, rappellent que « personne n’oblige qui que ce soit à prendre quoi que ce soit ». Eux, disent plutôt entendre les plaintes de leurs patientes et vouloir les aider. Il est vrai, toutefois, que le business devrait être lucratif : selon les sociétés de courtage, les ventes d’Addyi devraient atteindre très rapidement les 100 millions de dollars par an. Le Viagra pour hommes, lui, commercialisé depuis déjà 17 ans, a généré un chiffre d’affaires de plus de 1,7 milliard de dollars en 2014 ! Pour autant, le laboratoire Sprout, qui commercialisera l’Addyi, a indiqué par la voix de sa présidente, que « le but de toutes ces recherches et de ces 5 années de discussion avec la FDA, c’était de faire gagner la science, alors qu’une femme sur dix souffre de troubles du désir. La FDA a elle-même reconnu les vertus thérapeutiques de notre médicament. Nous avons toujours cru à ce traitement, une solution efficace et sans danger. Nous avons écouté les patientes, observé les résultats. Elles méritent de pouvoir faire ce choix avec leur médecin ».
Efficace peut-être, sans danger rien n’est moins sûr : comme tous les médicaments, l’Addyi présente des risques pour les utilisatrices : somnolence, évanouissements, chute de tension artérielle, incompatibilité avec l’alcool… et même, dans les cas les plus graves, des syncopes. S’il arrivait en France, il ne serait donc vendu que sur ordonnance. Dernier bémol : aux Etats-Unis, seulement 8 à 13% des femmes qui ont pris ce médicament ont remarqué une amélioration réelle de leur désir sexuel par rapport à un placebo. Du côté des féministes, les avis sont partagés : « Cela fait des années que l’on propose des solutions pour les hommes, et pas pour les femmes », estime Ovidie, auteure de guides et de documentaires sur la question, blogueuse et chroniqueuse, spécialiste des questions sur la sexualité. Pour l’association Osez le féminisme ! , « il faut se méfier de la médicalisation à outrance de cette chose complexe qu’est le désir : la sexualité féminine, ce n’est ni tout dans la tête, ni tout dans le corps. Et puis cela conforte le culte de la performance sexuelle, l’homme toujours au top, la femme toujours disponible. On ne doit pas s’obliger à prendre un médicament pour répondre au désir de son partenaire, mais au contraire s’écouter et ressentir un désir ou un non-désir. Les labos pharmaceutiques feraient mieux de s’intéresser à la recherche sur la sexualité féminine. Ils lancent surtout du Viagra féminin parce que c’est une manne économique énorme ».