Europe : l’avortement de plus en plus remis en question

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4En Europe comme ailleurs dans le monde, ces temps-ci, la question de l’avortement revient au faîte des grandes questions d’actualité… Et la remise en cause de ce droit fondamental des femmes, acquis de haute lutte il y a quelques décennies et qui semblait inaliénable, n’est plus si choquante et devient même souhaitable pour une partie de nos sociétés occidentales. Les soignants et les personnels d’accompagnement social s’en inquiètent, et s’en émeuvent.

 

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Simone Veil

« Avant 1975, l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, était un délit, et l’on pouvait être mise en prison pour cela. Depuis la loi Veil, cette année là, l’avortement est devenu un droit légal en France, il est même remboursé par l’assurance maladie depuis 1983 », explique le docteur Danielle Gaudry, gynécologue obstétricien et présidente de la Confédération du mouvement français pour le planning familial. « Aujourd’hui, ce sont même les organisations anti-avortement qui peuvent être poursuivies pour propagande et désinformation. Par ailleurs, depuis 1993, le Code de Santé publique en France prévoit un délit d’entrave à l’IVG, et l’on peut encourir 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende pour la propagation de fausses allégations sur l’avortement, dans le but d’en dissuader la demanderesse éventuelle ».

 

13Autant dire que personne, jusqu’à il y a quelques années, n’aurait pu imaginer que petit à petit, ce droit serait à nouveau remis en question, ailleurs en Europe et dans le monde, mais aussi en France, par des sphères d’influence de plus en plus grandes. Or, l’élection de Donald Trump comme nouveau président des Etats-Unis, le 13 novembre 2016, sonne comme le signal – et ce n’est pas le seul – d’une évolution des mentalités à rebrousse-poil, en faveur du droit à la vie et de l’interdiction, voire de la punition, de l’avortement. Le milliardaire américain, républicain favorable à l’interdiction de l’avortement, a largement fait campagne sur ce thème et promis qu’il nommerait des magistrats opposés à l’IVG, à la tête de la Cour suprême, pour faire voter des lois en faveur de l’interdiction de l’IVG. « Je suis pro-life, et les juges le seront également, parce que je les nommerai pour cela », a-t-il affirmé lors de sa première interview officielle en tant que président élu, sur une chaîne de télévision américaine.

 

Et l’homme d’affaires américain a de plus en plus de soutiens en Europe, qui partagent largement cette vision des choses. En Europe, de plus en plus de gouvernements conservateurs ont fait de l’avortement leur cheval de bataille. La Hongrie par exemple, où Viktor Orban, le premier ministre ultra nationaliste (et fervent admirateur et soutien de Donald Trump), a fait adopter il y a 4 ans une nouvelle Constitution, peu favorable au droit à l’IVG. Elle reconnaît l’embryon comme un être humain dès le tout début de la grossesse et considère donc l’avortement comme un ultime recours : « la vie du fœtus sera protégée dès sa conception », indique ainsi l’article 2 du chapitre sur la Liberté et la Responsabilité de la Constitution hongroise. « Ce revirement de plus en plus commun dans les civilisations occidentales tient essentiellement à une crainte du déclin démographique, et à une volonté d’un retour à un nouvel ordre moral », explique l’un des plus grands spécialistes français des civilisations d’Europe Centrale, Paul Gradvohl, maître de conférences à l’Université Nancy II.

 

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Manifestation en Pologne pour le droit à l’avortement

En Pologne également, le droit à l’IVG est régulièrement remis en cause : l’avortement a failli être intégralement interdit en octobre 2016 par le parti ultranationaliste au pouvoir, avant que la proposition ne soit finalement rejetée par le parlement polonais. Toutefois, 58 députés se sont prononcés en faveur du texte lors du vote le 6 octobre 2016, et 18 se sont abstenus : soit 1 cinquième de l’hémicycle « pour » l’interdiction de l’IVG ou en tout cas dans l’optique du « qui ne dit mot consent ». Ce qui n’est pas rien. Et même si, dans la rue, le texte a provoqué des manifestations importantes, le comité « Stop Avortement » à l’initiative de la proposition de loi bénéficie de soutiens importants et fait preuve d’une influence grandissante dans la vie politique et sociale de la Pologne. Ce projet prévoyait que l’avortement ne pourrait être légalisé qu’en cas de danger de mort pour la femme enceinte, disposait aussi que les patientes ayant recours à l’IVG comme les médecins le pratiquant, seraient passibles d’une peine de 5 années de prison… alors que la législation de Varsovie est déjà l’une des plus restrictives de l’Union européenne en matière d’avortement : l’IVG n’est autorisée qu’en cas de danger pour la vie de la mère, de viol ou d’inceste, ou de pathologie grave et irréversible chez l’embryon.

 

14En Norvège, les anti-avortement gagnent aussi du terrain, d’année en année : le gouvernement, très conservateur et qui réunit des populistes et des chrétiens de droite, visent à favoriser le droit à l’objection de conscience pour les médecins et les sages-femmes. En Irlande également, un article constitutionnel protège la vie de l’embryon et l’IVG est interdite, sauf en cas de danger de mort pour la mère. C’est même la position très pro-avortement des institutions européennes qui avait conduit les Irlandais à rejeter le traité européen de Lisbonne, de peur d’une légalisation de l’avortement sous la pression de Bruxelles. Finalement, l’Irlande a négocié dans le traité un protocole annexe, et une mention spéciale lui garantissant qu’aucune disposition n’affecterait les dispositions de sa constitution sur le droit à la vie des êtres à naître. Quant à l’Irlande du Nord, pourtant anglaise, elle dispose d’une législation spéciale interdisant aussi l’avortement. Surtout, au-delà des législations et des dispositions politiques, une autre petite révolution se profile : du côté des médecins, en Europe, l’objection de conscience a le vent en poupe : elle est passée de 58% en 2005, à plus de 70% aujourd’hui, en particulier en Italie où l’influence de l’Eglise catholique, mais aussi du mouvement Pro Vita, s’est accrue ces dernières années.

 

11Des évolutions de société qui inquiètent aujourd’hui les responsables des plannings familiaux, en Europe et en France : « Nous avons le sentiment que de plus en plus de sociétés occidentales se dirigent vers une interdiction quasi-totale de l’avortement, et même si pour le moment, aucun gouvernement n’y est parvenu, on sent que c’est leur bête noire et qu’ils feront tout pour y parvenir. Les chiffres en Europe ne sont pas bien connus, mais on sait que dans le monde, un avortement sur deux se fait de manière clandestine et que 47 000 femmes en meurent chaque année, soit une femme toutes les 9 minutes… Des chiffres qui iront forcément en grandissant si les législations deviennent encore plus restrictives », estime Véronique Sehier, co présidente du Planning Familial en France et ancien membre du haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes. « Nous militons, pour empêcher cela, pour que le droit à l’avortement soit inscrit comme droit fondamental dans la charte européenne, mais la plupart des Etats refusent parce qu’ils veulent conserver leur pouvoir  régaliens sur ce sujet. Nous regrettons que les instances européennes ne soient pas plus courageuses sur ce thème, parce qu’il est inquiétant qu’aujourd’hui en Europe, toutes les Européennes n’aient pas les mêmes droits à disposer de leur corps, et qu’une Polonaise ou une Irlandaise n’ait pas les mêmes droits qu’une Française ou une Allemande ».

 

2En France, certains événements récents ont poussé les mouvements féministes et les responsables de plannings familiaux, mais aussi des gynécologues et obstétriciens engagés sur le sujet, à alerter sur la poussée des mouvements anti-avortement et la pression nouvelles qu’ils font peser sur le débat dans l’Hexagone. Ainsi, fin septembre 2016, un livre anti-IVG trouvé dans certains lycées privés avait créé la polémique : distribué aux élèves filles, il avait été pointé du doigt par la commission avortement du planning familial, parce qu’il « contenait des contrevérités scientifiques », selon Danielle Gaudry, responsable de cette commission : « ce type d’événement, où l’on s’aperçoit que certains établissements privés, ayant une mission d’éducation et d’enseignement, font de la manipulation mentale auprès des jeunes filles, prouve à quel point les mouvements qui luttent pour un retour à un modèle traditionnel de la société, opèrent un retour important aujourd’hui dans la sphère publique et politique française. La Manif pour Tous a été le signe le plus visible de ce mouvement de pensée qui redevient très fort et influent, et cela nous inquiète, parce que selon ces schémas, la femme est complémentaire de l’homme, elle n’est plus son égal mais son faire-valoir et sa subordonnée dans la hiérarchie familiale. Les anti-avortement considèrent notamment que son rôle principal est la maternité et la reproduction de l’espèce. Ce livret anti-avortement, qui s’intitulait « manuel bioéthique des jeunes », est un tissu de mensonges, qui indique par exemple que près de 9 millions d’avortements ont été pratiqués depuis 1975, des enfants décrits comme « uniques et irremplaçables » dans le texte, qui dit aussi qu’un enfant né d’un viol « ne mérite pas la peine de mort car il est innocent ».

 

8Autre phénomène contre lequel la ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol, a annoncé vouloir lutter il y a quelques semaines : la multiplication de sites internet de propagande anti-avortement, qui, sous couvert d’informer les femmes en quête de renseignements sur l’IVG, « véhiculent des informations biaisées sur l’avortement ». La ministre estime que « ces sites avancent masquer, pour mieux diffuser leur propagande, et il faut les dénoncer : car même si la liberté d’opinion et d’expression est un droit en France, elle n’inclut pas le droit au mensonge sur des sujets aussi graves que la contraception et l’IVG ». Le gouvernement a pour projet, dans ce contexte, de proposer un amendement au texte de loi sur l’Egalité et la citoyenneté, pour élargir au numérique et aux sites internet le délit d’entrave à l’IVG.

 

9De leur côté, les sites en questions, comme ivg.net ou encore sosbebe.org, ou afterbaiz.com, portés par des mouvements anti IVG comme Les Survivants, se défendent d’allégations ou d’informations faussées pour induire en erreur les jeunes femmes en quête d’informations sur l’IVG et les en dissuader. Ces sites, comme les organisations de défense de la vie et de protection du fœtus, ou les associations catholiques familiales, invoquent leur droit à la liberté d’expression et jugent légitime d’alerter les femmes sur « les souffrances causées par l’avortement » : « ce que nous écrivons sur l’avortement est objectif et vérifié par des médecins, des juristes et des philosophes, et c’est la position de l’Eglise sur l’avortement, il est donc logique que des livrets comme le manuel bioéthique des jeunes soient distribués dans les établissements catholiques… ce n’est pas comme s’il avait été distribué devant les portes du planning familial », explique ainsi Emile Duport, porte-parole du mouvement Les Survivants, contre l’avortement. Des propos qui font bondir les responsables des plannings en question : « Informer oui, tromper non : ces organismes anti IVG essaient de profiter de la vulnérabilité de femmes découvrant une grossesse non désirée et font pression sur elles en décrivant l’IVG comme une horreur traumatisante », selon la ministre Laurence Rossignol.

 

 




2 commentaires

Molet le 6 déc. 2016

Le droit à la vie. C’est vrai que les conséquences psychologiques après une IVG médicamenteuse ou pas , c’est un constat chez les femmes l’ayant pratiquée, c’est sont très importantes en matière de culpabilisation et de dépression, en effet pour moi personnellement, et c’est ne pas parce que je suis catholique ou d’une religion quelconque que je maintien ma position et je la défend, on ne dois pas non plus tomber dans le piège « droit à l’avortement = je décide car je suis l’égale de l’homme » ça n’a rien a avoir!! cette une pensée archaïque, que peut être était nécessaire, pour arriver a posteriori à se rendre compte que nous les femmes on à le droit à être aidée en cas de grossesse et par la suite nous devons justement affirmer nos droits à l’aide financière et social pour élever nos enfants car la solidarité est la base de la société et ce ne pas en tuent notre enfant qui est dans notre ventre que ont va arriver a faire changer les mentalités. Pour moi le droit a garder son enfant doit être respecté et pas mitigé, au jour d’aujourd’hui on martyrise les femmes qui ont plus de trois enfants pourquoi? c’est pas juste, on doit continuer a affirmer nos convictions et ne pas succomber à la pression sociale capitaliste et non solidaire, garder son enfant oui avec de l’aide , dans la solidarité qui devrai être un devoir citoyen pour le maintien de notre espèce.

Bibi le 6 déc. 2016

Bonjour,

Je trouve ce retour en arrière catastrophique pour la société, et aussi pour les enfants à naître: comment peut-on faire croire aux femmes qu´elles s´attacheront à un enfant non-désiré…c´est un non-sens..
Il est indispensable de continuer à défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur vie. C´est la base-même d´une société égalitaire; il faut donc défendre le droit à l´avortement.

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