Violences conjugales : le rôle des professionnels de santé

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La violence physique ou sexuelle au sein de la famille a pris une ampleur telle, ces dernières années, qu’elle doit désormais être considérée comme un problème de santé publique, dit « épidémique ». 1 femme sur 3 dans le monde est, en effet, victime de violences conjugales… Le chiffre est terrifiant. Et ça se passe aussi chez nous, en France. Alors, quand on est professionnel de santé, éducateur, psychologue, psychiatre ou médecin, comment doit-on réagir… Comment peut-on réagir ? Pour le savoir, nous avons choisi de rencontrer plusieurs victimes, mais aussi quelques uns, qui ont été les bourreaux de leur moitié, parfois une seule fois, parfois pendant des années. Leurs témoignages sont autant d’éléments de réponse.

Philippe, grand, brun, costaud, a 42 ans. Agent de la Fonction Publique, il a décidé d’assumer jusqu’au bout. Alors, aujourd’hui, il témoigne de la façon dont il en est venu à porter la main sur sa compagne.

« Moi c’était en 2008, la première fois. J’ai fait ça dans la rue. Il était 20h. Surtout, j’ai fait ça devant mes filles, devant mes enfants. J’étais un peu ivre, en colère contre ma femme. donc je l’ai frappée, et frappée. Elle a failli perdre un œil. J’ai été tout de suite interpellé, placé en garde à vue, et éloigné pendant 15 jours de mon domicile. Ma vie n’a plus jamais été la même. J’ai été en cellule de dégrisement pas loin de 48 heures. On perd la notion du temps, la notion de tout, on se demande ce qui s’est passé, on est en dehors du monde pendant ce moment là, à ressasser tout ce qui s’est passé. »

L’histoire de Philippe le montre : en matière de violences conjugales, la première intervention des pouvoirs publics est cruciale. Car c’est au moment où tout a basculé, la première fois, que la prise en charge sera efficace. Un homme habitué depuis longtemps à frapper sa compagne, finira par trouver cela normal. Il sera beaucoup plus difficile de le soigner, et surtout, d’éviter la récidive. Alors que si l’on réagit tout de suite, le préventif devient curatif, et le taux de récidive passe à moins de 6% des cas, selon les statistiques.

« Nous avons décidé de ne pas attendre le pire », explique une magistrate de Douai, dans le Nord de la France, où un dispositif spécifique a été mis en place depuis 2003. « Nous prenons donc en compte les premiers signes de violences conjugales, que ce soit des violences verbales, je pense aux menaces de mort, aux menaces d’infractions, mais aussi les violences physiques : secouer sa compagne, lui tirer les cheveux, la gifle, la baffe. ». Le dispositif a aujourd’hui largement fait ses preuves. Après la garde à vue, les hommes violents sont placés dans un foyer Emmaüs, contraints de se plier à des règles très strictes… et puis, il y a les groupes de parole. « J’ai rencontré dans ces groupes des hommes qui, mis à part deux d’entre eux, avaient globalement pris conscience que ce qu’ils avaient fait était dramatique », explique le psychologue animateur du groupe de parole.

Sylvie, elle, a 53 ans. Elle a été giflée, battue, humiliée, violée par son mari pendant 11 ans. Plus d’une décennie à subir des violences conjugales avant de parvenir à en parler, et à s’en sortir. « Son regard changeait avant chaque épisode de violence. Un regard très noir. Comme s’il voulait me tuer. Il a d’ailleurs essayé de m’étrangler, plusieurs fois. Il m’a détruite, mais j’étais toujours amoureuse de lui. Jusqu’à ce qu’il s’en prenne aux enfants. C’est étrange, parce qu’on reste pour les enfants, pour ne pas les priver de leur père. Et puis le jour où les enfants deviennent ses nouveaux jouets, son nouveau défouloir, on part pour eux, pour les protéger. On reste pour eux, et on part pour eux. »

Mais parfois, la victime n’est pas forcément celle qu’on croit. Certains hommes, sont aussi des martyrs, chez eux. Ainsi, nous avons rencontré Julien, à Angoulême : ce n’est pas son vrai prénom. S’il préfère garder l’anonymat, c’est par peur de représailles, mais aussi par honte. Cet homme d’une cinquantaine d’années a subi pendant plusieurs mois la violence de sa conjointe. « A chaque fois qu’elle s’en prenait à mon fils, je m’interposais. Du coup c’était moi qui prenais. Elle me fichait des coups de balai. Une fois j’étais tellement marqué que je n’ai pas pu sortir pendant quinze jours, j’avais un œil au beurre noir, des hématomes un peu partout. Ma figure avait doublé de volume. »

Ce père de famille est sorti du silence grâce à une structure associative, un centre d’hébergement qui loge en urgence ou à long terme des hommes, des femmes, des enfants ou des couples en situations de violence familiales. Dès leur arrivée, une équipe les prend en charge, et les écoute avant tout. « On a une équipe composée de travailleurs sociaux, assistantes sociales, éducateurs, éducateurs de jeunes enfants, thérapeutes conjugales et familiales… ces multiples compétences nous permettent d’être au plus près  possible des besoins de la personne, et d’être le plus pertinents possible », explique le Directeur du Centre.

A quelques portes du bureau du Directeur, le psychiatre de l’association reçoit en consultation tous les hébergés. Pas de solution miracle. Mais il aide les patients à trouver la clé pour sortir de la spirale de la violence. « On les questionne », explique le médecin. « Ce sont ces questions qui les font cheminer soit vers la séparation définitive, soit vers un fonctionnement de couple différent. Ce sont eux qui choisissent leur rythme, c’est très important. On ne peut les obliger à rien. »

Hélas, la majorité des victimes ne dépose jamais plainte. D’où l’importance de savoir détecter leurs souffrances. Et de les aider à parler, et à agir.

Vous êtes victime ou témoin de violences conjugales ou sexuelles ? Parlez-en !
Composez le 3919
24h/24, 7j/7




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