La médecine de guerre de nouveau enseignée dans les universités françaises

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C’est une guerre particulière : celle contre le terrorisme. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, puis de Paris et Saint-Denis, en janvier et novembre 2015, les techniques de secourisme des médecins soldats sont de nouveau enseignées aux  futurs professionnels de santé. Tout un symbole… Militaires et praticiens à la fois, les formateurs viennent dans les facultés de médecine pour transmettre leur expertise en matière d’attaques terroristes. Objectif : savoir faire face à un Plan Orsec-Novi (Nombreuses Victimes), réagir de manière appropriée, connaître les  techniques de soins à appliquer en urgence pour secourir un maximum de blessés avec la meilleure efficacité possible ; savoir, aussi, comment se prémunir psychologiquement pour éviter le stress post traumatique, et pouvoir ainsi agir avec sang froid.

 

Certaines universités, comme Paris V ont aussi mis en place des exercices en conditions réelles, régulièrement, tout au long du cursus. « J’ai fait un exercice de simulation d’attentat, en quatrième année, je devais prendre en charge un blessé avec éviscération et blessures aux membres supérieurs, c’était assez stressant mais très formateur », explique ainsi Matthieu, l’un des stagiaires de cette journée particulière d’entraînement, « quasi commando ». « J’ai posé un garrot avec la technique du tourniquet, typiquement militaire ; j’ai aussi appris à me protéger moi-même d’une attaque terroriste tout en soignant une victime. On n’y pense pas spontanément mais se mettre à l’abri avant de porter assistance à un blessé, c’est un réflexe obligatoire. Et c’est quelque chose qu’on ne nous apprend pas dans le civil. On a un apprentissage hospitalier, très protecteur, très classique, avec un lit pour chaque patient et tout le nécessaire à proximité. On ne nous apprend pas à intervenir dans un contexte non sécurisé ».

 

Le médecin en chef formateur au service de santé des Armées, à l’école du Val de Grâce,  intervient régulièrement auprès des étudiants pour leur apprendre « un savoir être, plus qu’un savoir-faire ». Il réalise ainsi un gros travail de préparation psychologique auprès des étudiants. « La plupart se rendent compte qu’ils n’ont pas les bons réflexes. Techniquement, on ne leur apporte pas grand-chose, mais on leur apprend à travailler sur des blessés avec une menace environnante. Les attentats de 2015 à Paris et Saint-Denis, mais aussi à Nice le 14 juillet 2016, ont montré qu’aujourd’hui les soignants devaient prendre en compte des contextes d’intervention avec des attaquants qui ne sont pas forcément maîtrisés par les forces de l’ordre au moment où il faut commencer à intervenir, parce qu’il y a tuerie de masse et que les blessés tombent par dizaines. Venir en aide à une victime c’est notre vocation, mais savoir le faire alors que des assaillants continuent à tirer sur la foule, par exemple, ou partent mais reviennent ensuite et bougent d’une rue à l’autre de manière très mobile, ce sont des acquis que nous leur apportons ».

 

Il y a aussi la prise en charge d’afflux massifs de victimes dans les hôpitaux, ce que l’on appelle le « triage » : faut-il prendre en charge en priorité les enfants ? Les adultes ? « Si demain un drame se déroule dans une école, comment les soignants peuvent-ils se préparer alors qu’ils sont, ne l’oublions pas, des êtres humains qui doivent faire des choix pour venir en aide à d’autres êtres humains dans un contexte de tension extrême ? Un contexte de guerre, n’ayons pas peur des mots », poursuit le formateur, qui apprend par exemple aux chirurgiens à réaliser des opérations « séquentielles », c’est-à-dire en plusieurs fois, « pour s’occuper rapidement d’un patient, puis en prendre un autre en charge, revenir au premier, commencer à opérer un troisième pour sécuriser ses fonctions vitales, poursuivre avec le second, et ainsi de suite ».

 

Depuis deux ans, les facultés sont de plus en plus nombreuses à mettre en place ces enseignements. 160 étudiants parisiens de troisième cycle, issus de 3 universités différentes (Paris Descartes, Paris XIII et Paris Diderot), futurs médecins mais aussi dentistes ou pharmaciens, participent ainsi à une unité d’enseignement santé défense depuis la rentrée universitaire de septembre-octobre 2017. A Tours, les étudiants complètent aussi leur AFGSU (Attestation de Formation aux gestes et Soins d’Urgence), obligatoire, par une réforme du troisième cycle (à partir de la septième année d’études) qui comprend désormais un cours de « gestion des urgences collectives ».

 

« C’est plus approfondi en termes de médecine de guerre qu’une formation où on apprend juste le massage cardiaque et le bouche à bouche », estime Cécile, l’une des étudiantes. « On doit apprendre à vivre avec notre époque, le terrorisme fait partie du quotidien aujourd’hui, et c’est vrai que ces médecins militaires ont eux-mêmes vécu des situations de guerre, la vue du sang, le danger imminent pendant les soins, et leur enseignement est plus précis. Par exemple, l’un de nos formateurs est le médecin du SAMU qui a coordonné les secours dans la capitale le soir des attentats de Paris et de Saint-Denis. Il nous a expliqué qu’autrefois les médecins avaient cette connaissance parce qu’ils faisaient leur service militaire. Aujourd’hui, les futurs médecins n’ont plus ces enseignements appris sous les drapeaux pendant une année. Ces cours nous permettent donc d’apprendre à soigner des blessés de guerre en très grand nombre et à se coordonner aussi entre soignants des hôpitaux civils pour faire face. Concrètement, il nous a rappelé que le soir du Bataclan et des terrasses parisiennes, deux camions de pompiers ont été mitraillés par les terroristes, heureusement sans faire de blessés. Avec cet enseignement, on apprend à ne jamais rien laisser au hasard et à prévoir le pire, tout en continuant à exercer notre métier ».

 

Pour l’Association des Etudiants en Médecine de France, l’idéal serait, à terme, de mettre en place des formations couplées médecine de guerre – médecine de catastrophe, dans la mesure où « le réchauffement climatique est l’autre menace, avec le terrorisme, qui fait aujourd’hui évoluer le métier des soignants. Dans ce contexte, les médecins militaires sont les meilleurs interlocuteurs des étudiants, ils ont la meilleure expérience de la médecine associée à des catastrophes collectives. Mais malheureusement ils sont peu nombreux, très sollicités, et le terrain est évidemment leur priorité par rapport à l’enseignement. Il faudrait en former davantage pour qu’ils puissent à leur tour former le plus grand nombre : urgentistes, anesthésistes, pompiers, chirurgiens, infirmiers… et ainsi sauver davantage de vies le jour où ça arrive ».

 

 




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