Débat autour de la prostitution : le rôle essentiel des travailleurs sociaux

Temps de lecture : 5 minutes

prostitueeElle est au cœur de l’actualité du moment : la prostitution, métier de l’ombre, mal connu et souvent diabolisé. Au cœur d’un projet de loi, d’abord. On vient d’apprendre qu’il sera à nouveau débattu à l’Assemblé Nationale le 12 juin prochain, dans quelques semaines, après avoir été retoqué par le Sénat. Ce dernier refuse de rétablir la pénalisation des clients et de supprimer le délit de racolage, deux propositions centrales du projet. Mais la prostitution est aussi au cœur des faits divers les plus sordides, aussi, avec le démantèlement ce mardi 19 mai 2015, d’un vaste réseau de prostitution, et l’arrestation de 30 personnes en France et en Roumanie, toutes soupçonnées d’avoir exploité de jeunes prostituées roumaines, à peine mineures, pour plus de 4 millions d’euros récoltés lors de « sex tours », ces deux dernières années.

 

travailleur_socialL’occasion de remettre sous les projecteurs un autre métier de l’ombre, étroitement lié au premier, indispensable et pourtant mal connu : celui de travailleur social auprès des prostitué(e)s. Des éducateurs, des assistants sociaux, des personnels infirmiers, des conseillères familiales et des psychologues, qui exercent auprès des travailleuses et des travailleurs du sexe. Pour les accompagner, ils ont suivi une formation pointue et approfondie. Un sacerdoce, une vocation, plutôt qu’une profession lambda :  « Lorsque nous rencontrons des personnes prostituées, que ce soit sur les lieux de prostitution ou dans nos services, notre objectif est d’abord de répondre à une souffrance, de construire des réponses adaptées à chacune, avec elles. Notre regard, notre position les distinguent en tant que sujet alors que ces personnes sont le plus souvent assignées à la seule place de prostituées », explique Michèle Benhaim, psychanalyste spécialisée dans la souffrance de la rue. « En s’abritant derrière des attitudes agressives, méfiantes, ou arrogantes, ces personnes sont difficiles à comprendre. L’expérience d’accompagnement, le travail social, ici, c’est d’ aller à la rencontre des personnes prostituées, de leur proposer un accueil, une écoute, de faciliter leur accès aux droits fondamentaux, d’accompagner une demande d’insertion sociale, professionnelle… C’est très difficile, mais aussi très enrichissant humainement et émotionnellement ».

 

sante« Les acteurs sociaux qui rencontrent des personnes travaillant dans la prostitution tentent d’approcher les différentes facettes des problèmes liés à ce phénomène, tant du point de vue des personnes – problèmes de santé, aides possibles, suivis dans la réinsertion – que sous les aspects législatifs et réglementaires », explique le MDN, « Mouvement du Nid », qui agit auprès des prostitué(e)s depuis plus de 70 ans. « Il leur faut connaître toutes les problématiques de ce métier à part : les représentations sociales de la prostitution, les arcanes des différents systèmes d’exploitation, les différentes cultures de la prostitution, le droit qui légifère la prostitution, les risques prostitutionnels, mais aussi la psychologie et les questions de santé relatives aux personnes prostituées, la prévention, l’accueil, l’accompagnement et la réinsertion des prostitué(e)s, et bien sûr les différentes problématiques autour du client de la prostitution ».

 

prostitutionLes témoignages des travailleurs sociaux qui s’occupent plus particulièrement des prostitué(e)s sont également très instructifs sur l’étendue des connaissances à devoir maîtriser pour pouvoir exercer les différents métiers d’approche, de soin et d’accompagnement auprès des prostitué(e)s : « J’ai suivi une formation sur l’approche clinique des abus sexuels, car dans ma pratique quotidienne, je rencontre énormément de personnes qui ont subi des abus sexuels », témoigne une assistante sociale spécialisée. « Je suis dorénavant mieux armée pour comprendre leur fonctionnement, et mettre en place un accompagnement adapté ». Une autre, éducatrice, explique se passionner pour les questions qui tournent autour de la prostitution des jeunes filles maghrébines, « parce que c’est un sujet peu traité alors que nous avons besoin, nous travailleurs sociaux, d’être éclairés sur certaines situations dont nous avons la charge ».

 

soinsAziza, qui travaille dans une structure itinérante d’aide aux prostituées, regrette que « ce que l’on renvoie le plus régulièrement aux travailleurs sociaux qui côtoient les prostituées, c’est que les éducs sont des théoriciens, alors qu’il suffit de connaître le milieu et d’être quelqu’un de terrain pour travailler là-bas… C’est faux ! L’analyse clinique s’apprend, et elle est essentielle. C’est presque une question d’éthique, et c’est aussi la raison pour laquelle je crois que notre métier mérite d’être enfin reconnu. Vouloir aider l’autre, cela suppose des savoirs, pas juste de la pratique ».

 

client37 travailleurs sociaux, issus de douze services et huit associations, ont même créé un collectif pour échanger autour de leurs pratiques professionnelles et de leurs expériences singulières autour de la prostitution. Il en est né un ouvrage, « Prostitution : guide pour un accompagnement social », l’un des premiers dans son genre… car c’est un fait : la prostitution reste tabou, elle est peu ou pas abordée dans les écoles qui dispensent les formations de base pour futurs travailleurs sociaux. « Il manquait un ouvrage que l’on puisse consulter dans l’ordre que l’on voulait, sans que les chapitres soient interdépendants les uns des autres. Un ouvrage illustré, pédagogique, basé sur les témoignages de personnes rencontrées, qui traite aussi bien de l’évolution du métier que des facteurs de risques et de leurs conséquences, qui traite à la fois des lieux de prostitution et des publics concernés, qui propose des éclairages sur les très jeunes prostitué(e)s, mais aussi sur celles et ceux qui sont âgés, sur celles qui sont mères de famille, ceux qui sont travestis, ou transsexuels… », raconte Christian Ayerbe, l’un des coauteurs du livre. « La santé, la précarité, la violence, l’exclusion sont des thématiques centrales dans le milieu de la prostitution. Le travail social y est donc à la fois fondamental et spécifique, avec des pratiques professionnelles tout particulièrement tournées vers l’écoute, l’absence de jugement, la création d’une relation fondée sur la libre adhésion ».

 

reseauTous ces travailleurs sociaux qui témoignent aujourd’hui, sont unanimes : il faut absolument, aujourd’hui encore en France, accentuer la sensibilisation de tous à la question de la prostitution. Car elle fait encore partie des zones de non-dit, même dans les métiers axés sur la santé, l’accompagnement social, la prévention. « Les partenaires de l’emploi, de la formation, de la santé, de l’école, doivent eux aussi prendre conscience de ce qu’il reste tant à faire pour mieux aider et aider plus les personnes qui se prostituent », espère Mireille Dupré la Tour, elle aussi co-auteur de l’ouvrage, qui fut pendant près de 25 ans éducatrice spécialisée dans l’accompagnement des personnes en risque ou en situation de prostitution. « Nous devons, tous autant que nous sommes, transmettre et partager notre expérience, notre réflexions, notre savoir, nos repères sur cette réalité, pour que ceux qui la vivent se sentent de mieux en mieux considérés. Pour réaffirmer, aussi, de manière forte, l’importante du travail social auprès de ces personnes, le sens de cet engagement, l’importance du temps consacré à ces personnes. Pour ouvrir une brèche dans les représentations liées à la prostitution, et pour que les regards puissent changer, à l’heure où le débat public est traversé par beaucoup de questionnements sur la prostitution et ceux qui la vivent. »

 

 




0 commentaire

A lire également

Ce site utilise des cookies pour vous offrir le meilleur service. En poursuivant votre navigation, vous acceptez l’utilisation des cookies.En savoir plusJ’accepte