Médecine rurale : où en est-on aujourd’hui ?

Temps de lecture : 5 minutes

medecine_rurale« Dans un mois je vais fermer mon activité et fermer mon cabinet. Je viens de coller une affiche sur ma porte pour avertir mes patients. » Cette décision, c’est celle de « Borée », médecin de campagne à l’origine d’un blog. Comme beaucoup de ses confrères, il a fini par faire son choix. C’est le drame de la médecine aujourd’hui : la désertification des zones rurales, de moins en moins bien fournies en services de santé. Et les médecins généralistes, les « médecins de famille » comme on les appelle, sont les premiers touchés. Combien sont-ils, à partir à la retraite sans avoir trouvé de remplaçants ? 

cabinet_medical« Je préviens ma clientèle depuis plusieurs mois. J’ai longtemps retardé mon départ en retraite », explique Jean-Michel Mercier, médecin généraliste en Normandie. « Je n’ai pas trouvé de remplaçant et ça me désole. Mes patients viennent déjà de 15 ou 20 kilomètres à la ronde. Quelle distance devront-ils désormais parcourir ? Beaucoup sont âgés, ils sont obligés de continuer à conduire pour consulter, ou payent une fortune à des taxis pour venir… ». Ses patients sont désemparés. « Si on trouve un autre docteur tant mieux, si on n’en trouve pas on se passera de médicaments pis c’est tout », soupire une dame âgée dans la salle d’attente. « Qu’est-ce qu’on va devenir ? On se sent abandonnés », s’exclame son mari, qui rit jaune. « C’est un métier fatiguant, nerveusement, psychologiquement et physiquement », explique le toubib. « En 35 ans j’ai pu m’arrêter deux jours ! Autrefois, on vendait notre cabinet et notre patientèle. Aujourd’hui, on cède souvent gratuitement nos patients pour trouver un successeur, et encore… ça ne suffit pas toujours. »

Aujourd’hui, 98% des jeunes diplômés de médecine choisissent d’exercer en ville. Souvent, en zone rurale, un médecin doit assumer la charge de 3000 patients, en moyenne. C’est énorme ! Un médecin de campagne soigne les familles sur plusieurs générations… une patientèle fidèle et assurée, mais un métier épuisant et moins rémunérateur qu’en zone urbaine ou en milieu hospitalier. A tel point que même pour trouver des stagiaires, c’est difficile… « On commence à 8H le matin et on finit tard, vers 22 heures parfois, du lundi au samedi… », poursuit Jean-Michel Mercier. 60 heures en moyenne par semaine, les gardes le dimanche deux fois par mois et un téléphone qui peut sonner à tout moment, pour 4500 euros nets par mois soit 20% de moins qu’en ville…

Mais ceux qui font ce choix savent pourquoi. « Je me sens profondément rural, je suis attaché aux familles, à la relation avec elles, et aux petits villages », explique cet autre médecin généraliste, installé en Poitou-Charentes. Sa stagiaire, elle, se laisserait bien tenter : « nous ne sommes pas de la même génération, nous n’avons pas la même façon de travailler, mais même si c’est beaucoup de contraintes horaires, je me vois bien vivre à la campagne, y élever mes enfants… Ce n’est pas une question de salaire, je trouve cela attractif en termes de confort de vie ».

Une opinion hélas de moins en moins partagée. « Je crois avoir suffisamment goûté à un tel isolement : les cinémas à 40 minutes, laauscultation gare principale à une heure vingt, les grandes villes à plus de deux heures de route… », écrit Borée sur son blog. « J’aime toujours la médecine générale, ce n’est pas le problème. Et j’aime particulièrement son exercice ici, à la campagne, riche et varié. Mais je dois reconnaître que, malgré la superbe maison médicale dans laquelle je suis, je commence à me fatiguer de cet environnement peu stimulant. Si encore j’avais des stagiaires, mais en 8 ans, j’ai eu un unique interne : je suis trop éloigné de la fac, les étudiants hésitent à faire autant de route. Et puis, les actes sont de plus en plus longs et peu rentables. Voir mon bénéfice stagner depuis 4 ans ou hésiter à prendre des congés de peur de faire un gros trou dans la caisse, j’en ai assez. »

patientCes vingt dernières années en zone rurale, la situation sanitaire s’est donc considérablement dégradée. De manière globale, la médecine générale est en crise. De 54 000 praticiens aujourd’hui, on risque de chuter à 31 000 en 2025… Mais les campagnes et les banlieues défavorisées souffrent de l’hémorragie plus que n’importe quel autre secteur urbain. Difficile à gérer, prenante et pas assez rémunératrice, beaucoup de temps passé sur les routes pour les consultations à domicile… la médecine rurale fait peur aux nouvelles générations. Dans certaines régions, la moitié des médecins de familles seront partis en retraite d’ici dix ans, sans personne pour prendre la relève.

Depuis dix ans, chaque gouvernement essaie la même chose : primes à l’installation, mesures fiscales, salaire minimum… Pourtant les chiffres ne bougent pas, et les jeunes médecins continuent de bouder le milieu rural. Sauf… certains, qui en profitent : les jeunes venus de l’étranger. Environ un quart des médecins nouvellement inscrits l’année dernière ont obtenu leur diplôme hors de France, et presque tous travaillent aujourd’hui dans les régions à faible densité médicale.

maison_medicaleEt puis, les infirmiers profitent aussi de la désertification médicale : dans les régions les plus défavorisées en terme de santé, le déclin du nombre de médecin se fait en parallèle d’une augmentation impressionnante du nombre d’infirmiers libéraux : par exemple, sur ces six dernières années, leur nombre a augmenté de 25% en Dordogne ou en Picardie. Curieusement, les infirmiers libéraux semblent, eux, attirés par ces zones sous dotées en médecins et plus la ruralité est forte, plus l’éloignement des grandes villes est prononcé, plus il y a de candidats ! En effet, pour cette profession, le dispositif d’aide à l’installation semble mieux fonctionner que pour les médecins. Ces mesures prennent notamment en charge les cotisations sociales familiales, et comprennent une allocation de 3000 euros par an pendant 3 années consécutives.

Autre solution à étudier : la création de maisons médicales prises en charge par les communautés de communes, et regroupant médecins généralistes, dentistes, kinésithérapeutes, ostéopathes…  Selon certains médecins de familles, ce type de projet est l’unique solution pour ne pas cesser définitivement le métier qu’ils exercent avec passion et engagement. Un choix militant, donc. Jeunes médecins diplômés : à bon entendeur… salut !

 




4 commentaires

MARCETEAU le 19 août 2014

Je suis maire d’un village de Dordogne. Nous sommes sans médecin… suite au décès du docteur du village. Après quelques semaines, La municipalité avait fait appel à une agence de recrutement de médecins. Nous avons, avec de l’argent public donc financé ce recrutement. Nous avons fourni logement, cabinet, matériel médical, mobilier…etc Un praticien d’origine espagnole s’est installé. La patientèle se faisait peu à peu… mais le médecin, pris par le mal du pays sans doute est parti sans même en avertir ses patients ni nous même.
Ces dernières semaines, deux personnes sont décédées, les secours ayant tardé. Que faire? Nous avons vraiment l’impression d’être abandonnés dans notre si jolie campagne.

Delhomme le 6 janv. 2014

Bonjour Michel,
C’est simple, tu peux faire comme les médecins étrangers qui viennent bosser en France, ils passent un contrôle (concours, très relatif) ce n’est pas compliqué, vraiment quelques questions sur des cas cliniques, et puis tu passe devant un groupe de jurés très restreint, qui te posent des questions connes, du styles, pourquoi voulez vous travailler en France, quel est votre projet et bla bla bla bla pour évaluer ton niveau de français, pendant 10 minutes et hop, c’est terminé. Ce n’est vraiment pas compliqué, si c’était le cas , tu ne verrais pas autant de médecins étrangers travailler en France, dont certains parlent à peine le français, alors je t’encourage à foncer et venir travailler en France, laisse tomber les USA, c’est un pays merdique, j’ai essayé moi aussi à Los Angeles, je me suis barrer rapidos, un pays de fous…..
Cordialement
PS: voici mon email perso s tu veux plus d’infos:
hannibalmagelan@hotmail.fr

ROUX le 23 juil. 2013

Je compatis. On ressent dans vos mots, l’amertume que vous ressentez, et l’inquiétude pour vos patients, qui vont effectivement se trouver dans une situation d’abandon médical, de quoi faire froid dans le dos. Je suis infirmière depuis environ 20ans.
Vous savez : j’ai tout essayé; l’hôpital, les cliniques privées, la Psychiatrie, les remplacements libéraux en ville, à la campagne, la Gériatrie (EHPAD) la coordination.
Je suis écoeurée moi aussi par ce boulot, par la conjoncture surtout, qui nous oblige à la tracabilité, prend tout notre temps, au détriment des patients, pour quelle avancée.
Je ne sais pas si je suis d’accord avec vous sur le fait que les infirmiers s’installent un peu plus, c’est vrai là où il y a désertification médicale, je n’y vois pas forcément un grand avantage financier, par rapport à une installation en ville : En effet savez-vous que s’il y a une aide à l’installation, par contre il faut diviser par deux le remboursement des km effectués par les infirmiers par rapport au remboursement des km effectués par les médecins, alors ?
Et les infirmiers libéraux dans la campagne, assurent aussi beaucoup de petites tâches subalternes. Les journées commencent vers 6h30, il y a une petite coupure, en général, entre 13h30 et 16h30, por terminer vers 21h. Les Week-End sont souvent un sur deux, voir 100%. Car les remplacements ne sont pas si faciles à trouver, il y a souvent la question du logement et l’éloignement de la famille en jeu, également. Une infirmière, ne remplacera jamais un médecin. J’ai beaucoup de respect pour ceux-ci, et il est évident qu’à 7,8, ou 9 ans d’études, contre 3, ou 3,5, pour les infirmiers, le rôle ne peut pas être le même. L’infirmier ne peut s’improviser médecin, tout à coup, pour effectuer un diagnostic, mais que fait-on, lorsqu’on est seule et que l’on se retrouve devant une urgence, une souffrance aigüe, et que l’on ne peut ni prescrire de calmants, ni médicaments urgents ?? Il ne nous reste qu’à faire appel aux urgences où, on le sait, les patients attendront 4 ou 5 heures parfois, de jour comme de nuit.
Pour les infirmiers libéraux, il faut aussi prendre en compte qu’ils ont souvent plusieurs soins à effectuer à un même patient, un soin d’hygiene par exemple, qui sera pris à 100% par la CPAM, un deuxième soin : un pansement parfois long (ulcères), qui ne comptera que pour la moitié de sa valeur, et enfin mettons : une injection, qui elle ne sera pas comptée du tout, sans compter les petits services à côté, rapporter les médicaments de la pharmacie, etc… Mais voilà, les patients de ces zones si diversifiés semblent un peu rassurés qu’il y ait au moins une ou deux infirmières, à défaut de médecins, ils se sentent un peu moins abandonnés, ils savent que s’il y a urgence, l’infirmière saura quoi faire, même si au bout du compte, ce sera les urgences. En attendant, elle a un rôle de rassurance et de surveillance, non négligeable, mais elle aussi, son téléphone reste branché 24h/24, ave l’inquiétude qu’il sonne à chaque instant et ce que cela implique sur le sommeil, sur la vie familiale. Mais voilà, les zones rurales sont désertées, et les hôpitaux, cliniques, maisons de retraite manquent cruellement de personnel. On doit toujours courrir, faire le travail de 2 voir 3 infirmières à une seule, effectuer des tas d’heures supplémentaires, jamais récupérées, jamais payées, et l’on se voit souvent attribuées un CDI, surtout dans le public qu’au bout de 3, 4, 5 ou 6 ans. Pendant ce temps, on est payées comme débutante : soit 1400 euros net/mois, quand on voit les responsabilités prises et le temps imparties pour chaque soin, l’erreur est un risque très élevé.
Mais voilà, le constat : on embauche plus : jamais les offres d’emploi n’ont été si peu nombreuses. Celles qui subsistent, reviennent régulièrement, pas très compliqué à comprendre : les infirmières ne restent pas dans les lieux les plus à risque, et là où il n’y a aucune perspective, alors que les conditions de travail et la maltraitance des patients, mais aussi du personnel est de rigueur. On craque, les dépresssions sont monnaie courantes chez les infirmieres, le fameux « burn-out  » qu’on ne voit pas venir, et qui vous terrasse d’un seul coup. Il en va de même chez les médecins, biensûr, qui n’ont pas le temps de s’occuper de leur propre santé : infarctus, AVC, etc, les médecins sont plus qu’épuisés également.
Mais qui se soucie de tout ça ??? Si nous ne faisons front ensemble, nous ne nous en tirerons pas. Nos familles et nos enfants sont concernés par ce problème. Une des solutions qui paraît apporter un peu de lumière d’espoir dans ce tableau bien sombre, est en effet l’émergence de maisons médicales rassemblant un groupe de professionnels, où l’on peut avoir une aide à l’installation par les Communautés d’Agglomérations quand elles existent, mais qui sont dans leur intérêt, et qui restent à encourager plus que vivement. Je pense que pour au moins créer une attraction de remplaçants, que ce soient médecins ou infirmiers, les mairies devraient mettre la main à la poche et proposer des logements de fonction, cela aiderait certians remplaçants, médecins ou infirmiers, prêts à venir soulager une situation d’urgence ou à venir de suite pour remplacer à 100%, un médecin ou une infirmière obligée de s’absenter, de n’avoir pas ce problème qui en bloque plus d’un.
Il faut peut-être aussi que les patients acceptent que l’investissement ne peut pas, être, tout à fait le même, puisqu’il ne s’agit pas d’une installation définitive, donc accepter que le service soit un peu moins prenant pour ces professionnels qui font l’effort de venir en urgence, quand-même, mais être un peu moins exigeants quant à leur disponibilité, parfois tout de même abusive il faut bien le dire avec les professionnels plus avertis, plus habitués aussi à LEUR médecin, à LEUR infirmière et qui parfois usent et abusent d’exigences quant aux horaires souhaités plus que juste et pile à l’heure. Médecin, c’est sans-doute, une vocation, infirmière également, mais la jeune génération n’a t’elle pas raison de vouloir se préserver un peu, car il va falloir travailler longtemps dans les années à venir, alors que l’on retrouve un peu de qualité de vie et de repos, ne serait-ce dans l’intérêt des patients, ce n’est peut-être pas si mal ?
Que les mairies réfléchissent à créer des logements gratuits et libres immédiats pour des remplaçants médecins ou infirmiers, qui n’auraient pas, au moins à se soucier de cela, avec ce que ceci comporte de confort minimum, et agréable. C’est ainsi, que l’on suscitera peut-être de nouveaux médecins être de bon(e)s infirmier(e)s à s’installer ds des zones désertées, mais la médecine rurale ne sera plus la même, et c’est sûr, mais je ne suis pas certaine que ce soit un mal en soi, peut-être deux médecins ou trois au lieu d’un seul, donc moins de rentrée d’argent, mais des impôts partagés, une qualité de vie….
Une seule chose : la prise de conscience da la population, des mairies, des conseils municipaux qui ne se penchent pas assez sur cete question, et doivent à tout pris, mettre la main à la poche pour accorder des possiblités de logement gratuits ou très peu onéreux au départ et ce pendant un bon moment, s’il l’on veut des résultats à long terme. Voilà mon opinion d’infirmière « blasée » qui de burn-out en burn-out, en arrive au surendettement, à une asthénie insurmontable, des troubles de mémoire et d’attention, par trop de demandes, et pas de possibilité d’y répondre correctement…….

Michel Moreau le 22 juil. 2013

C’est desolant de lire ca, en France!
Je suis medecin Francais aux Etats-Unis et j’ai du démissionner proche de la fin de mon internat de médecine générale en Ohio rural, en raison du racisme anti-Francais de mon directeur et de l’hopital. Je travaillais bien pourtant.
Ma formation a ete dure mais tres serieuse dans les hopitaux de New York, en plus de la recherche que j’ai effectuee.
J’aimerais retourner en France mais il faut se presenter a un examen de controle puis refaire tout l’internat…ca n’est pas facile.
Lorsque je vois les medecins Francais fermer la porte, ca me desole, d’autant plus qu’ici on est habitué aux zones rurales difficiles.
Beaucoup me disent que les Francais en ont assez de voir des medecins etrangers qui parlent a peine la langue… Dites-moi comment venir et je suis pret a prendre une place dans la campagne Francaise !
MM

A lire également